Campagne de publicité pour la marque Moulinex, "Moulinex libère la femme". Sur un fond bleuté, la jeune femme dessinée sur l’affiche porte des vêtements que l’on imagine faits pour la vie extérieure. Elle jette son tablier afin de se présenter sous un autre champ que la vie à la maison. Moulinex est l’une des premières marques à prendre en compte cette dimension sociale des femmes. Avec ses équipements ménagers, la marque accompagne l'émergence de la société de consommation des Trente Glorieuses. La société est introduite en Bourse en 1969.

Le sens dans la publicité : construction d’un stéréotype ?

Le sens dans la publicité : construction d’un stéréotype ?

Moulinex est une marque connue notamment pour sa campagne de communication des années 1960. C’est, encore aujourd’hui, une référence quant à la représentation des femmes. La sémiologie permet de faire émerger le sens de cette publicité.

La place de Moulinex dans le contexte socio-historique de l’époque

Les années 1960 marquent l’avènement de l’électricité. Avec la première centrale nucléaire qui ouvre ses portes à Chinon en 19631, les appareils électroménagers conquièrent bon nombre de foyers français. Autrefois réservés aux classes socio-professionnelles supérieures, les cuisinières électriques et les petits appareils ménagers débarquent au cœur des logements modernes. Les habitudes de consommation évoluent et le taux d’équipement des foyers français en appareils électroménagers passe ainsi de 3 % en 1950 à 20 % dans les années 602.

Parallèlement, les femmes travaillent de plus en plus. La loi du 13 juillet 19653 marque un profond tournant puisque dès lors, les femmes n’ont plus besoin de l’accord de leur époux pour ouvrir un compte en banque ou encore prendre un travail. Mais si l’emploi féminin se démocratise, elles ont moins de temps pour réaliser les tâches ménagères et domestiques. Jean Mantelet, fondateur de Moulinex l’a bien compris quand il dit « Ma plus grande fierté est de supprimer un geste de la femme »4. Dès 1961, arrive donc sur le marché toute une série de robots multi-fonctions aux noms féminins tel que « Robot-Marie ». En plus de les soulager à la maison, l’entreprise leur offre aussi du travail comme en témoigne cette archive INA. En 1983, les femmes vont jusqu’à représenter 67 % des employé·es de Moulinex5.

C’est donc propulsé·es par leur compréhension des femmes et de leur besoin d’émancipation que les publicitaires des années 60 élaborent leurs slogans. Tandis que Hoover parle de « révolutionner l’art du ménage » dans ses publicités pour la « Boule », « premier aspirateur sur coussin d’air », Seb propose de joindre « l’utile et l’agréable » avec sa « Super-cocotte ». La marque Moulinex, quant à elle, avec son image d’entreprise progressiste et ses outils ménagers révolutionnaires proclame entendre la condition des femmes et plus encore, en jetant son tablier, « Moulinex libère la femme ! ». Une publicité à analyser dans son contexte pour en comprendre tout le sens, tous les signes.

Moulinex et l’égalité des femmes – Archive vidéo INA

Dans les années 1980 Moulinex encourage et soutient les femmes dans leur vie professionnelle. La marque s’engage a donner accès à des postes autre que la fabrication à la chaine à des milliers de femmes.

© Archive vidéo INA

Analyse sémiologique de la publicité Moulinex des années 1960

La sémiologie est l’étude des signes. Cette notion de signe a beaucoup évolué au cours du temps. Aujourd’hui Martine Versel, chercheuse au MICA (Médiations, Informations, Communication, Arts) dans l’équipe COS – Communication Organisations et Société, nous décrit le signe comme « une entité composée d’un élément matériel et d’un élément conceptuel à partir desquels on peut travailler des objets de sens dans n’importe quel domaine ». Pour analyser une affiche publicitaire telle que celle de Moulinex un·e sémiologue avance point par point puisque tout a un sens. Nous pouvons ici séparer l’affiche en deux éléments principaux : le texte et le dessin.

Le slogan présent sur cette publicité, « Moulinex libère la femme ! », donne la parole à la marque. Cela signifie que c’est Moulinex qui tient un discours. Ce procédé est assez novateur pour les années 1960, date de sortie de la campagne publicitaire. À travers ce slogan nous pouvons dire que la marque se fait juge et partie. En effet, elle affirme que les femmes sont libérées une fois en possession d’un appareil Moulinex et rend cette information très positive grâce à l’utilisation du point d’exclamation qui donne un ton d’euphorie.

La jeune femme dessinée sur l’affiche porte des vêtements que l’on imagine faits pour la vie extérieure. Elle jette son tablier afin de se présenter sous un autre champ que la vie à la maison. Moulinex est l’une des premières marques à prendre en compte cette dimension sociale des femmes. C’est sur cet aspect que la marque décide de centrer sa campagne. S’i·elle se met dans le contexte historique lors du lancement de cette campagne de publicité, un·e sémiologue ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une représentation stéréotypée. La sémiologie, par son étude des signes et des symboles présents dans la publicité, permet de redonner un sens à une affiche des années 1960.

Un marketing genré qui nous colle à la peau

Si dans son contexte, l’image de la femme des années 1960 renvoyée par la publicité de Moulinex n’est pas aussi stéréotypée que l’on peut le croire, les publicités actuelles le sont en grande partie. Selon une étude de Kantar publiée en 20196, 45 % des consommateur·rices estiment que les femmes sont mal représentées par la publicité. Et c’est compréhensible : 98 % des publicités pour les produits d’entretien et de soins infantiles mettent en scène des femmes. Les hommes, eux, sont bien mieux lotis, et particulièrement en France.

Dans l’hexagone, le sexisme ordinaire bat des records : 96 % des médecins, des scientifiques et des intellectuel·les dans la publicité sont représenté·es par des hommes. Une aberration, quand on sait que 46 % des médecins dans la vraie vie sont des femmes… Globalement, les personnages masculins sont 38 % mieux valorisés que les personnages féminins. Et pour cause : les hommes ont plus souvent le rôle de la figure d’autorité, du décisionnaire, tandis que les femmes sont encore trop souvent réduites à l’image de la ménagère séductrice, de la femme-objet, de l’idiote, ou encore de la professionnelle subalterne7.

Le marketing français a donc encore beaucoup de chemin à faire avant de nous débarrasser des stéréotypes qu’il nous colle à la peau. On notera cependant que ces dernières années, plusieurs initiatives ont été prises par certaines marques pour déconstruire les stéréotypes de genre. Parmi elles, les dernières campagnes de Gilette8 (marque de rasoirs) mettent à l’honneur des hommes qui se dressent contre la figure du mâle alpha. De la même façon, la publicité Jules9 (prêt-à-porter), parue en 2020 s’engage contre la virilité toxique en déconstruisant l’image de l’homme que perpétuent les clichés. Une autre initiative importante : celle du CSA et sa charte d’engagement contre les stéréotypes de genre.

Jules – C’est quoi être un homme ?

Avec son slogan « Men in progress », la marque de prêt-à-porter pour hommes Jules tente de renverser les stéréotypes de genre en remettant en question les clichés concernant les hommes.

© Jules

Vers une représentation moins stéréotypée des genres dans la publicité

Depuis 2013 avec la création de son groupe de travail « Droit des femmes », le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est engagé dans une lutte contre la création et l’utilisation des stéréotypes de sexe. Des études sont alors menées, portant sur la place des femmes dans les œuvres audiovisuelles telles que les fictions ou les émissions de divertissement. En 2015, un premier rapport est publié sur leur représentation dans ce type de média. L’année suivante, le CSA s’intéresse au milieu publicitaire et crée en mars 2018 une charte10 d’engagement volontaire visant à combattre les stéréotypes sexuels et sexistes. Le podcast11 disponible sur le site web de France Culture, « Par quel miracle la pub peut-elle devenir moins sexiste ? », en résume les grandes lignes, détaillées plus bas.

©France Culture

Par quel miracle la pub peut-elle devenir moins sexiste ?

En 2018 le CSA signe une charte concernant les publicités afin de limiter les stéréotypes de genre. Est-ce suffisant ?

Cette charte réunit les différentes institutions de la publicité ainsi que l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP). Selon les études commandées par le CSA avant la réalisation de cette charte, il s’avère que les personnages dénudés dans les publicités sont principalement des femmes, et le sexe féminin est plus représenté dans les contenus ménagers que les hommes. Les chiffres de ces études tendent cependant globalement vers une égalisation lente et progressive des sexes. 

Dans un premier temps, les signataires de la charte s’engagent à veiller à ce que dans des situations de sexualisation excessive, les personnages ne soient pas objetisés ou humiliés. Ensuite, les annonceur·es doivent présenter tous les ans au CSA et à l’ARPP un bilan évaluant la récurrence des stéréotypes dans leurs programmes et ainsi faire évoluer leur communication. Les agences de publicités sont labellisées par l’Association des Agences-Conseils en Communication (AACC) en fonction de leur engagement vis-à-vis de la charte, et de la sensibilisation qu’elles mettent en œuvre à la fois en interne et auprès de leurs collaborateurs·rices. Enfin, des démarches de formations sur la représentation des hommes et des femmes dans la publicité sont mises en place auprès des professionnel·les. Un comité de suivi composé des signataires doit établir tous les ans un bilan avec d’éventuelles propositions d’améliorations. Une promesse pour les années à venir ?


Pour poursuivre la visite

1 – EDF, [sans date]. Les grandes dates de l’électricité. In : EDF France [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/les-grandes-dates-de-l-electricite.

2 – GASTON-BRETON, Par Tristan, 2018. Jean Mantelet, Moulinex et la « libération de la femme ». In : History & Business [en ligne]. 14 décembre 2018. Disponible à l’adresse : https://historyandbusiness.fr/jean-mantelet-moulinex-et-la-liberation-de-la-femme/.

3 – ANON., 2006. Loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux – Légifrance. In : [en ligne]. [Consulté le 7 décembre 2020 ]. Disponible à l’adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006068258/2020-12-09/.

4 – Moulinex, [sans date]. Our History | Moulinex. In : [en ligne]. [Consulté le 7 décembre 2020 ]. Disponible à l’adresse : https://www.moulinex.fr/notre-histoire.

5 – INA STYLES, 2012. Moulinex et l’égalité des femmes – Archive vidéo INA [en ligne]. 2012. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=gpwZKRagohg&ab_channel=InaStyles.

6- Alice Huot, 2019. Dans la pub, le mythe de la ménagère de -50 ans résiste. In : L’ADN [en ligne]. 28 mars 2019. Disponible à l’adresse : https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/etude-marketing/etude-stereotypes-genre-publicite-2019/

7 – Yves Collard, [sans date]. Les stéréotypes de genre dans la publicité. In : Pop Modèles. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://popmodeles.be/les-stereotypes-de-genre-dans-la-publicite/

8 –  Nina Godart, 2019. Dans la nouvelle pub Gillette, un père apprend à son fils transgenre à se raser. In : BFM BUSINESS [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.bfmtv.com/economie/consommation/dans-la-nouvelle-pub-gillette-un-pere-apprend-a-son-fils-transgenre-a-se-raser_AN-201905290040.html.

9 – LLLLITL, 2020. Jules : la fin des clichés sur les hommes ? In : LLLLITL [en ligne]. 2 novembre 2020. Disponible à l’adresse : https://www.llllitl.fr/2020/11/jules-men-in-progress/

10 – CSA, 2018. Charte-contre-les-stéréotypes-sexistes-dans-les-publicités.pdf [en ligne]. S.l. : s.n. Disponible à l’adresse : https://www.arpp.org/wp-content/uploads/2018/03/Charte-contre-les-st%C3%A9r%C3%A9otypes-sexistes-dans-les-publicit%C3%A9s.pdf.

11- Mathilde Serrell, [sans date]. Par quel miracle la pub peut-elle devenir moins sexiste ? In : France Culture [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-culturel/le-billet-culturel-du-mercredi-07-mars-2018.