Le toucher, un sens interdit ?

Le toucher, un sens interdit ?

Figurant parmi les cinq sens physiologiques, le toucher englobe une partie tactile mais aussi émotionnelle comme l’explique Amel Bengrine-Joret, psychomotricienne en milieu hospitalier.

Deux figurines en bois qui s'enlacent
© Marco BIANCHETTI sur Unsplash
« Si les besoins pouvaient parler, ils diraient à celui qui les porte « ne me jette pas dans les bras de n’importe qui, respecte-moi, écoute-moi avant. » Citation de Jacques Salomé, choisie par Amel Bengrine-Joret pour illustrer ses propos.

Besoin de chance ? Touchez du bois. Besoin de discuter ? Touchez-en un mot. Présent dans de nombreuses expressions bien connues, ce sens physiologique demeure pourtant assez méconnu, voire tabou. Le toucher, encore appelé tact, est le premier sens qu’acquiert l’être humain. C’est à la huitième semaine de vie intra-utérine que se développe ce « rapport très direct de l’un à l’autre » comme le décrit Amel Bengrine-Joret.

Elle précise que « le toucher active, chez soi comme chez l’autre, un certain nombre de capteurs au niveau corporel : kinesthésiques, proprioceptifs… Ce sont ces récepteurs de pression, de température ou encore de mouvements qui permettent de traiter l’information au niveau cérébral. Ils nous aident à avoir toute une cartographie de nous au niveau corporel et psycho-corporel, car c’est au travers du toucher que l’on se construit. »

D’indispensable à tabou

Petit·es, les enfants tâtonnent devant elleux pour se déplacer. Plus âgé·es, i·elles portent fréquemment des objets à leur bouche. Le toucher est donc le sens prépondérant du début de vie puisque chaque personne se construit d’abord dans les soins apportés dès la naissance. Néanmoins, la psychomotricienne souligne que « l’on s’éloigne progressivement de ce contact-là ». L’adulte, par essence, est « moins enclin au contact car il faut une autorisation pour toucher l’autre. L’interdit de toucher existe car ce sens est aussi lié à la question de la sexualité. »

En plus d’être soumis à un indispensable consentement ou une interdiction, le toucher est parfois inapproprié. « Il n’est tout simplement pas toujours possible de l’employer parce que parfois la personne ne le veut pas ou alors parce que l’on ne peut pas l’utiliser sur l’instant t. » C’est notamment le cas pour les personnes fragilisées, celles atteintes de troubles psychiques, de pathologies psychiatriques ou encore de traumatismes. « Aussi extraordinaire qu’il soit, le toucher ne s’impose pas et n’est en rien obligatoire. »

La censure du toucher s’exerce aussi dans le contexte particulier d’une crise sanitaire où les gestes barrières sont les nécessaires garde-fous de la contamination. « Les gens sont demandeurs de toucher. Ils ont besoin de se rapprocher mais il y a quelque chose de fragilisé, des inquiétudes. Il y a une peur de la contamination. » La nécessité d’obtenir l’accord des deux parties, la notion d’espace personnel et les contextes sociaux complexifient ainsi la prise en charge médicale des patient·es.

Un toucher médical et émotionnel

Dans le milieu médical, on peut dénombrer deux types de contacts tactiles. « D’un côté les soins très techniques et codifiés comme lors d’une prise de sang et de l’autre le “toucher – massage” avec un aspect relationnel très fort. » C’est principalement ce deuxième contact qui est au cœur de la pratique des psychomotricien·nes, des psycho-socio-ethéticien·nes mais aussi des kinésithérapeutes.

Cette pratique du « toucher-massage » vient engager le « dialogue tonico-émotionnel ». « Dans chaque acte de toucher réside une dimension relationnelle forte, une activation des émotions et des pensées. » Cet échange silencieux utilise donc la propension du tact à réveiller les sensations : « Lorsque l’on touche l’autre il y a des aspects liés à l’idée de détente, de relâchement du tonus musculaire, d’apaisement de l’état interne et du niveau d’anxiété. » Le but étant de travailler au « niveau perceptif, de chercher à savoir ce qui se passe en nous lorsque nous sommes très tendus. C’est comme tourner la caméra vers soi ». L’objectif pour les enfants, les patient·es en cours de sevrage et pour les personnes atteintes de stress post-traumatique concerné·es par cette prise en charge est de savoir comment remettre son corps au travail.

Le « toucher-massage » agit donc sur tout ce qui est « remobilisation, image du corps et schéma corporel », précise Amel Bengrine-Joret. Pour ce faire, le corps médical doit adopter beaucoup de bienveillance dans sa pratique : « C’est une écoute au-delà des sens, de la vue. C’est une écoute au travers de ce toucher. On ne peut toucher l’autre sans être touché soi-même. »

Néphélie GODIN

À PROPOS D’AMel Bengrine-joret

Amel Bengrine-Joret est psychomotricienne diplômée d’état depuis 2010. Elle a travaillé en milieu hospitalier dans les domaines de la pédopsychiatrie (trouble du comportement alimentaire pré-pubertaire, refus scolaire anxieux, trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité, trouble anxio-depressif, PTSD) et des maladies chroniques graves en Soins Palliatifs Pédiatriques. Depuis 4 ans, elle travaille dans le domaine de l’addictologie adulte (avec ou sans substance) et des troubles du comportement alimentaire.

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