Des petites bêtes qui sentent fort
Nous, êtres humains, sommes capables de voir, toucher, sentir, goûter et entendre ce monde d’une façon qui nous est propre. Ces caractères acquis au cours de l’évolution sont-ils partagés avec d’autres espèces éloignées de nous, comme les insectes ? Freddie-Jeanne Richard, éthologue à l’université de Poitiers répond à ces questions.
« Certaines espèces s’orientent très bien sur le plan visuel, d’autres utilisent une communication vibro-acoustique. Mais le sens qui prédomine chez quasiment tous les insectes, c’est l’olfaction » explique Freddie-Jeanne Richard, chercheuse en éthologie au laboratoire Écologie biologie des interactions de l’université de Poitiers. Ses recherches portent sur le comportement animal, dont celui des insectes sociaux. En particulier, elle cherche à mettre en évidence les facteurs qui impactent leur communication chimique.
Un monde d’odeurs
Que ce soit pour se reconnaître au sein d’une colonie, s’alerter en cas de danger, savoir qu’il faut s’éloigner d’un congénère malade ou encore tracer un chemin vers de la nourriture, les odeurs sont indispensables chez les insectes sociaux. Si ces derniers sont aussi « redoutables dans l’environnement des odeurs », c’est parce qu’ils ont « une perception chimique très développée, et ce mode de communication est clé pour un grand nombre d’activités », précise la scientifique.
Freddie-Jeanne Richard a beaucoup étudié les insectes sociaux : fourmis et abeilles. Elle a démontré leur capacité à repérer une congénère malade rien qu’en sentant son odeur. « Une abeille malade va avoir une odeur différente des autres, celles-ci vont donc continuer à aller vers elle mais elles vont moins interagir avec l’abeille malade : elles modifient leurs comportements. Dans mes recherches, je m’attarde sur la communication entre les individus, et plus précisément les interactions entre individus de la même espèce. Ce qui peut faire changer, ce qui peut influencer ces interactions. » Aujourd’hui s’ajoute à ces petits sujets d’études des crustacés : les cloportes.
Pour étudier leur perception des odeurs, différentes méthodes sont possibles. « Il existe des techniques d’imagerie cérébrale capables d’être ajustées pour des tout petits organismes. Cela permet de voir quelles zones du cerveau vont être activées en fonction de certaines stimulations. Si c’est une odeur, un groupe d’odeurs, ou si on répète une odeur, on peut associer ces stimulations à l’activation d’un mécanisme cognitif. Mais cela nécessite que l’insecte soit vivant, et de couper une partie de sa cuticule qui ne repoussera pas. C’est un peu barbare… » Ses méthodes sont plus douces. Avec beaucoup d’attention, elle observe : « Ils sont tout le temps en mouvement, à se faire des toilettes, des léchages. Il se passe beaucoup de choses quand on regarde. Mais contrairement aux apparences, les suivis individuels montrent que les temps de repos ou d’inactivités sont précieux et nombreux. » Dans certains cas, elle doit « sacrifier » ses petits sujets pour récupérer les extraits de certaines glandes et en faire une analyse moléculaire. « Ces approches sont complémentaires. »
L’importance du vivre ensemble
L’étude des comportements des insectes a en grande partie pour vocation la lutte biologique : éradiquer les ravageurs des cultures, par exemple. Cette dimension mortifère de la recherche n’est pas la raison pour laquelle Freddie-Jeanne Richard se passionne pour les insectes, bien au contraire. Apporter de la connaissance dans ce domaine est, pour elle, un moyen de mieux connaître ces organismes pour mieux réagir en leur présence. Par exemple, pourquoi tuer un insecte quand on sait qu’il peut être attiré par l’odeur d’une certaine plante et s’y déplacer naturellement ? Pourquoi écraser une guêpe lorsqu’on sait qu’elle essaie simplement de récupérer un morceau de sandwich ?
« Mieux vivre ensemble, et pourquoi pas les aider quand ils sont en difficulté aussi ? Ce qu’il me semble être important, par rapport aux insectes, c’est qu’ils ne font pas beaucoup de bruit, ils ne crient pas, mais ils sont de moins en moins nombreux. Ils sont à la base de la chaîne alimentaire, représentatifs de la qualité de notre environnement et pour moi à la base de tout. Enfin, ils sont des piliers pour l’existence de beaucoup d’autres espèces, alors nous devrions leur porter davantage d’attention. »
Typhaine COSTE
À PROPOS De freddie-jeanne richard
Freddie-Jeanne Richard est enseignante-chercheuse en éthologie à l’université de Poitiers et membre du laboratoire Écologie et biologie des interactions (EBI) CNRS. Spécialiste du comportement et des communications chimiques chez les invertébrés, elle s’intéresse aujourd’hui aux interactions intraspécifiques chez les insectes sociaux et les isopodes terrestres.