Les super sens des non-voyant·es

Les super sens des non-voyant·es

En étant aveugle, affine-t-on ses autres sens ? Olivier Collignon, spécialisé en neurosciences cognitives nous parle des spécificités sensorielles des aveugles de naissance.

Daredevil, héros aveugle de Marvel, est capable de combattre le crime grâce à ses autres sens surdéveloppés. Si les non-voyant·es ne luttent pas tous et toutes contre le mal, i·elles ont tout de même des spécificités sensorielles. En effet, leur cerveau connaît une réorganisation et l’aire visuelle est utilisée par les autres sens. Cette particularité est due à la plasticité cérébrale et les aveugles semblent également avoir certains sens plus développés.

© Olivier COLLIGNON
Schéma décrivant la zone du cerveau des aveugles de naissance dédiée au processus auditif. Celle-ci est plus étendue que chez les voyant·es.

Sentir et entendre le monde

« Il y a des domaines, des habiletés perceptives pour lesquelles les aveugles sont bien meilleurs » affirme Olivier Collignon. Avec son équipe, il s’intéresse particulièrement aux réorganisations cérébrales et cognitives des personnes privées d’un sens. Suites à diverses expériences, son équipe a réussi à démontrer que l’odorat des personnes aveugles de naissance ainsi que leur ouïe sont supérieurs. En effet, enfermée dans une pièce remplie de haut-parleurs, la personne testée avec les yeux bandés doit déterminer d’où provient le son. « Il s’avère que les aveugles de naissance sont en général meilleurs que les non-voyants tardifs ou que les personnes sans déficit visuel pour la localisation sonore. » Une autre expérimentation consiste à propulser un jet d’air dans les deux narines simultanément. « Une odeur contenue seulement dans l’un des deux jets a permis de démontrer la supériorité des aveugles de naissance dans cette détection olfactive » ajoute le chercheur concernant une deuxième expérience. I·elles sont donc capables de mieux repérer les odeurs et les sons que les non-voyant·es tardif·ves ou les personnes sans déficit visuel.

Un entraînement quotidien

La plasticité cérébrale qui s’est opérée dans les régions visuelles du cerveau des aveugles de naissance a donné une théorie. Celle-ci veut que cette plasticité soit liée aux meilleures performances sensorielles de ces individus. Cependant, le neuroscientifique met en garde qu’en science, « le principe de corrélation n’est pas un principe de causalité et qu’il est extrêmement compliqué de lier la plasticité cérébrale qui s’est opérée chez les aveugles de naissance à leurs capacités sensorielles supérieures ». Une autre hypothèse plausible pourrait expliquer ces capacités par l’entraînement. En effet, depuis toujours, ces personnes s’exercent à percevoir le monde avec leurs autres sens. Ainsi, il est possible que cet entraînement leur donne des compétences supérieures. Cela peut être aussi la plasticité couplée à un exercice constant. Or, aucune personne voyante ne s’est entraînée assez longtemps pour confirmer que les capacités supérieures des aveugles leur sont propres et viennent bien de la plasticité cérébrale.

Le mythe du 6e sens

« Une petite proportion des aveugles utilise l’écholocation » confirme le chercheur belge. Cette faculté de percevoir ce qui nous entoure par la réverbération d’un son n’est pas propre à la chauve-souris ou au dauphin. « Des aveugles, souvent de naissance, ont développé cette stratégie d’écholocation. Ils peuvent faire « un clic » avec leur langue en la faisant claquer ou bien taper un objet sur le sol, comme leur canne. Ils vont ensuite analyser la réverbération sonore pour détecter d’éventuels obstacles. Cependant, si on prend une personne (sans déficit visuel) et qu’on l’entraîne à faire de l’écholocation, elle peut le faire ! » confirme Olivier Collignon. Les aveugles de naissance semblent donc mieux entendre ou sentir mais i·elles ne sont pas devenu·es de véritables chauve-souris.

Elie STECYNA

À Propos De Olivier Collignon

Olivier Collignon est chercheur en neuroscience cognitive à l’Université catholique de Louvain en Belgique. Son équipe, au sein du Crossmodal Perception and Plasticity Laboratory (CPP Lab), étudie notamment les réorganisations cérébrales et cognitives chez les personnes privées d’un sens.

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