Un roquefort rouge et sec

Un roquefort rouge et sec

Ce fromage de l’Aveyron, aujourd’hui vert et moelleux, ressemblait à tout autre chose au XVIIIe siècle. Philippe Meyzie, historien de l’alimentation à l’Université Bordeaux Montaigne, raconte son histoire.

Deux bouts de roquefort
© Noëlle KRAJCMAN
Le roquefort d’aujourd’hui

Son nom est resté inchangé mais pas son goût. Au XVIIIe siècle, un bon roquefort était rouge et extrêmement sec. Il était loin de sa couleur verte et de sa texture crémeuse qu’on lui connait aujourd’hui. Comme l’indique Philippe Meyzie : « Le roquefort est un exemple intéressant qui montre la manière dont le goût évolue et comment le produit s’adapte. »

Une nourriture démodée

Alors qu’aujourd’hui on peut se permettre de manger des fromages frais. Au XVIIIe siècle, ils devaient être secs pour bien être conservés et transportés. « La transformation progressive vers le roquefort que nous connaissons aujourd’hui s’opère à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec notamment l’usage du froid artificiel. » Autrefois la plupart des aliments étaient préservés dans du sel, ce qui leur donnait un goût très salé et amer. De nos jours, cette nourriture nous semblerait immangeable. D’ailleurs, pour des questions logistiques et de conservation, les fruits et légumes étaient consommés localement et bien plus mûrs qu’aujourd’hui. Il en est de même pour la viande : « Si la tendance contemporaine est à la viande jeune et tendre, à l’époque moderne on appréciait un morceau mature avec beaucoup de goût. »

Ressentir le goût

Mais comment les historiens accèdent-ils aux goûts anciens ? « L’histoire du goût est une histoire globale qui mobilise l’ensemble des sources disponibles et se nourrit des autres disciplines. » Les goûts anciens se perçoivent à travers des livres, des recettes, des tableaux, des carnets de dépenses, des récits de voyages, et bien d’autres écrits. Pour savoir ce qu’était un « bon » roquefort au XVIIIe siècle, les chercheurs ont trouvé des indications dans « les dictionnaires de commerce, des études savantes sur la production du roquefort ou bien encore des correspondances commerciales ».

Connaître l’histoire du goût permet de mieux comprendre notre sens, notre cuisine et notre histoire. D’ailleurs, depuis quand la tradition française de boire du vin avec du fromage existe-t-elle ? D’après Philippe Meyzie, l’idée de cette association est très récente : « Jusqu’au XIXe siècle, le service à la française faisait que chaque convive ne mangeait pas le même plat en même temps ce qui empêchait toute association. » Au quotidien, le vin, moins alcoolisé et raffiné qu’aujourd’hui, était la boisson de base de toute la population et le fromage une denrée populaire. C’est pourquoi leur consommation simultanée allait de soi, mais sans idée d’association des goûts. Même si leurs saveurs ont bien changé et nos rapports à ces produits ont évolué, vin et fromage ont toujours fait bon ménage.

Noëlle KRAJCMAN

À Propos De Philippe Meyzie

Philippe Meyzie est maître de conférence en histoire moderne au Centre d’étude des mondes modernes et contemporains à l’Université Bordeaux Montaigne. Il a notamment écrit L’alimentation en Europe à l’époque moderne : Manger et boire, XVIe s.-XIXe s, publié en 2010 chez Armand Colin.

Pour aller plus loin

Florent Quellier, Gourmandise. Histoire d’un péché capital, Paris, Armand Colin, 2010.

Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996.

Jean-Louis. Flandrin, « La diversité des goûts et des pratiques alimentaires en Europe du XVIe au XVIIIe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier 1983, p. 66-83.

Philippe Meyzie, L’alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, Collection U, Armand Colin, 2010.

Philippe Meyzie (dir.), « La gourmandise entre péché et plaisir », revue Lumières, n°11, 1er semestre 2008.

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