Mathilde Monperrus, chimiste au service de l’environnement
Changements globaux, crise de la biodiversité : les défis sont nombreux de nos jours pour la recherche environnementale. Mathilde Monperrus est enseignante-chercheuse à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA). Elle est basée à Anglet au sein de l’IPREM [1] (Institut Pluridisciplinaire de Recherche pour l’Environnement et les Matériaux). Très tôt, son parcours de chimiste prend une tournure environnementale engagée. Elle étudie un des grands enjeux contemporains : la pollution chimique.
En sortant du lycée, Mathilde Monperrus n’hésite pas : elle étudiera les sciences. Elle intègre un parcours de physique-chimie à l’université. Au cours de sa licence et de sa maîtrise, elle réalise des stages en laboratoire de recherche et en entreprise privée. « Je me suis très vite rendu compte que pour moi le monde de la recherche était bien plus intéressant et plus libre que le monde des entreprises privées » confie-t-elle. Elle poursuit par un DEA (diplôme d’études approfondies) environnement et matériaux. Ce DEA se clôture par un stage, qu’elle décide de réaliser au sein d’un laboratoire de recherche sur les problématiques environnementales, où elle travaille sur les sols pollués à l’arsenic. Ce stage « annonce la couleur ». Mathilde Monperrus veut se lancer dans la recherche. Elle obtient une bourse de thèse pour développer des appareils de chimie analytique, financée par un acteur industriel privé. Les objectifs de recherche de la doctorante ne sont pas en accord avec le financeur et au bout d’un an la thèse prend fin.
Cependant cette expérience a du bon car dans ce laboratoire, elle fait une rencontre décisive : David Amouroux, un chercheur qui travaille sur des thématiques environnementales. Ensemble, ils décident de monter un projet européen pour financer une nouvelle bourse de thèse. « C’est comme ça que j’ai atterri dans le projet européen MERCYMS, qui visait à essayer de comprendre le paradoxe du mercure en Méditerranée » nous dit la chercheuse. Mais que signifie ce paradoxe ? Le mercure est un contaminant qui s’accumule dans les chaînes alimentaires et les poissons marins. Il y a de toutes petites concentrations dans l’eau de la Méditerranée mais de fortes concentrations dans les poissons et c’est l’inverse dans l’océan Atlantique : c’est donc ce qui a été appelé le paradoxe de la Méditerranée.
C’est le début d’une grande aventure : bourses et partenaires européens, formations en Slovénie, Suède… La jeune doctorante embarque pour plusieurs grandes campagnes océanographiques en Méditerranée, réunissant une quarantaine de scientifiques et une quarantaine de membres d’équipage. « C’était la formation idéale » précise la chercheuse avec enthousiasme.
La fin de l’aventure et de la thèse approchant, la doctorante envisage de partir en post-doc à l’étranger. Mais une opportunité parfaite vient chambouler ses projets : un poste de maître de conférences à l’UPPA ouvre à Anglet. « C’était la chance de ma vie. » Elle décide de tenter le tout pour le tout, alors tout s’enchaîne : rédaction de sa thèse accélérée et soutenance six mois plus tôt que prévu, pendant une grossesse, puis audition pour le poste de maître de conférences quelques jours à peine après avoir accouché. Mais tout cela en vaut la peine puisque Mathilde Monperrus a obtenu ce poste et qu’aujourd’hui, quinze ans plus tard, elle l’occupe encore.
Un sujet de prédilection : la pollution
Le parcours de Mathilde Monperrus l’a donc amenée à enseigner à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et à poursuivre ses recherches au sein de l’IPREM. Elle exerce à Anglet où elle s’est spécialisée sur les problématiques littorales et la pollution. Sa discipline est la chimie analytique, appliquée à des thématiques environnementales. Son cœur de métier consiste à mettre au point des méthodes d’analyses pour doser des molécules et en l’occurrence des molécules polluantes. Au début de sa carrière elle travaille notamment sur les métaux tels que le mercure, l’étain, et l’arsenic. Son métier l’emmène aux quatre coins du monde : « Nous sommes allés travailler dans des endroits où il y avait des problématiques de pollutions aux métaux lourds dans les systèmes aquatiques : en Guyane, en Bolivie, au Laos … » explique-t-elle.
Quelle que soit la pollution, les questions sont toujours les mêmes : « Quelle est sa source ? Comment se comporte le polluant ? Quels sont les impacts des polluants sur les écosystèmes, sur les organismes ? » Pour y répondre, deux approches sont possibles : les prélèvements sur le terrain (in situ) et les expérimentations de laboratoire, où sont recréés des écosystèmes simplifiés avec des paramètres contrôlés qui permettent de mieux comprendre le devenir des polluants.
Petit à petit, à force de travailler sur la côte basque, son sujet se spécialise sur les problématiques littorales. Son projet actuel concerne les polluants émergents. « On oppose les polluants émergents aux polluants prioritaires, qui correspondent aux molécules réglementées et suivies dans le cadre de la “Directive européenne cadre sur l’eau” (DCE) » précise-t-elle. Les molécules émergentes, quant à elles, ne sont pas réglementées, il y a donc peu de données et de connaissances sur le sujet. Ces molécules sont retrouvées partout dans des produits d’usage quotidien, pourtant leurs effets ne sont pas ou peu connus. « Pour donner un ordre d’idée, il existe environ 150 millions de molécules différentes dans le monde, on en utilise 100 000 dans notre quotidien et seulement 45 sont contrôlées et réglementées par la DCE. » Le but est donc de connaître les molécules qui sont polluantes ainsi que leurs impacts. Actuellement, Mathilde Monperrus participe au projet MICROPOLIT qui consiste à mieux connaître les polluants émergents sur la zone littorale sud-aquitaine.
Un des axes du projet est le développement de méthodes d’analyse pour rechercher ces polluants émergents. « Nous avons mis au point une méthode qui permet de quantifier une cinquantaine de molécules pharmaceutiques dans l’eau. Nous sommes en train de développer la même méthode pour doser ces polluants dans des tissus biologiques, dans un muscle de poisson par exemple » explique la chercheuse. Certains sous-projets sont en lien avec les préoccupations de la Communauté d’Agglomération du Pays Basque (CAPB), pour qui la pollution littorale est un sujet important. La pollution chimique n’est pas prise en compte par la réglementation concernant l’ouverture des zones de baignade. D’abord réticent·es, les décideur·euses sollicitent aujourd’hui l’équipe de recherche pour connaître la situation de pollution chimique locale, financent une partie du projet et même de la médiation scientifique sur le sujet.
La chercheuse insiste sur l’importance de la communication et de la médiation scientifique sur ces thématiques. Son équipe collabore avec des sociologues afin de parler de ces problèmes de la meilleure façon. « L’idée de cette communication est d’informer mais aussi de responsabiliser les gens » confie-t-elle. Le projet MICROPOLIT étudie également la résilience du milieu, c’est-à-dire « déterminer combien de temps le polluant va perdurer, si le milieu naturel va être capable de le dégrader, comment et à quelle vitesse ». Ainsi, il est possible de comparer l’efficacité d’un traitement à celle de la résilience naturelle. L’équipe travaille aussi à l’amélioration des procédés de traitement. Une nouvelle piste de recherche expérimentale est l’utilisation de « superbactéries », des bactéries qui sont capables de se nourrir de polluants et de les dégrader. Les chimistes travaillent avec des biologistes, notamment sur les impacts des polluants sur les poissons migrateurs (saumons, lamproies, anguilles…) qui transitent par les estuaires. Ces derniers sont des zones très impactées par les activités humaines et potentiellement très polluées. Les scientifiques s’interrogent de concert sur les impacts des polluants sur le comportement migratoire et la reproduction des poissons.
En 2017, la chercheuse participe à la mission HaPoGé (Habitats, Polluants, Géologie) qui rassemble des biologistes, des chimistes et des géologues afin d’étudier l’environnement du canyon sous-marin de Capbreton. Le site est choisi car il représente une zone d’étude en milieu marin profond. Ainsi, il permet d’étudier le comportement des polluants à ces profondeurs où vivent des bactéries particulières qui pourraient éventuellement dégrader les polluants. Les résultats ne sont pas optimistes : « Nous nous sommes rendus compte que ces milieux marins profonds constituent de très grands accumulateurs de polluants, ils concentrent les particules fines auxquelles sont associés les micropolluants » prévient la chercheuse. Cette étude illustre l’effet boomerang qui a remplacé le paradigme de dilution. On pensait que ce qui était rejeté dans l’océan était dilué et donc moins néfaste, or tout est bioaccumulé notamment dans les poissons, que l’on consomme ensuite.
Apporter sa contribution
« Essayer de mieux comprendre les pollutions permet de mieux les traiter et tenter de les supprimer. L’idée derrière toutes nos recherches c’est de mettre notre petite pierre à l’édifice pour aider la planète à aller mieux » confie la chercheuse. Ce secteur de recherche est particulièrement important dans le contexte de changement global. Au début, Mathilde Monperrus se disait « on va tout changer ». Avec le recul, elle se rend compte que la recherche prend du temps et que pour que les choses changent, cela peut prendre des années. La chercheuse prend conscience très tôt de l’importance des problématiques environnementales, son engagement et sa volonté de travailler sur ces thématiques se manifestent rapidement. Elle précise : « Par contre, très vite, je me suis rendu compte que ma contribution serait certainement très petite par rapport à l’ampleur du problème. »
La scientifique adhère à la théorie du grain de sable : « Si tout le monde amène un petit grain de sable, cela devient une montagne. » Son engagement ne s’arrête pas à son activité professionnelle : tri, zéro-déchet et consommation bio font partie intégrante de son quotidien et de sa vie de famille. « Nous essayons d’avoir notre petite contribution aussi » explique-t-elle.
Avec sa double casquette de chercheuse et de formatrice, elle côtoie des étudiant·es en licence et jusqu’en post-doctorat. La transmission des savoirs et la sensibilisation sont des missions sous-jacentes de son activité. Elle attache beaucoup d’importance à la communication auprès du public. La chercheuse participe à des conférences tout public afin d’expliquer ses recherches. « Le discours des scientifiques est important dans l’opinion publique. On s’appuie sur des faits. Quand un scientifique parle, on l’écoute. Le problème c’est que notre discours n’est parfois pas très clair. » La vulgarisation n’est pas un exercice évident pour les chercheur·es et il est bienvenu d’être aidé·e et accompagné·e. « Il manque souvent le petit maillon entre le scientifique et le tout public. La dernière fois que nous avons fait une conférence tout public, l’agglomération (CAPB) a fait appel à une journaliste scientifique pour animer les débats et c’était beaucoup plus fluide. » Ceci souligne l’importance des médiatrices et médiateurs scientifiques formé·es pour faire l’intermédiaire entre le monde de la recherche et les différents publics.
Ana HIQUET-SANCHEZ
Je n’aurais pas été là si…
Si Mathilde Monperrus en est là aujourd’hui, c’est grâce à « un concours de circonstances, une bonne étoile et une grosse motivation ». L’expérience de sa première thèse, bien que non aboutie, lui permet de faire une rencontre décisive de laquelle découlera un projet européen épanouissant et une seconde thèse suivie de l’ouverture d’un poste d’enseignant·e-chercheur·e, opportunité rêvée, qu’elle décroche haut la main et qu’elle occupe depuis quinze ans.
[1] L’IPREM est une Unité Mixte de Recherche CNRS / UPPA (UMR 5254).