Xavier : une Histoire de plantes

UNE HISTOIRE DE PLANTES

Xavier Aubriot est chercheur en biodiversité végétale et évolution à l’Université Paris Saclay. Il étudie la systématique [1], la taxonomie [2] et la phylogénie [3] des plantes à fleurs, notamment dans les familles des Euphorbiacées et des Solanacées.

© Xavier AUBRIOT
Portrait de Xavier Aubriot

Xavier Aubriot se définit comme botaniste. S’il est aujourd’hui passionné par les plantes et l’histoire de leur évolution, cela n’a pas toujours été le cas : « les plantes ne m’intéressaient pas beaucoup plus que l’architecture ou les gens ou d’autres choses », confie-t-il. Le chemin qui l’a amené à ses recherches actuelles est davantage le fruit d’une évolution et de choix que d’un destin tout tracé. « Je ne vais pas sortir le bullshit habituel où je dis que je regardais les plantes quand j’étais tout petit », dit-il avec honnêteté. Il reconnaît avoir toujours aimé la nature et cultive, depuis longtemps, un certain sens de l’observation et de l’analyse. Mais, s’il identifie une appétence pour « quelque chose de plutôt analytique, sur la conceptualisation des choses », il s’est toujours senti davantage littéraire.

« Un littéraire perdu dans une filière scientifique »

Au lycée, il aime à se qualifier de « littéraire perdu dans une filière scientifique ». Il prépare un baccalauréat scientifique malgré un intérêt très marqué pour l’histoire et les enseignements littéraires. L’histoire des sciences l’intéresse tout particulièrement et notamment celle de la biologie. Il se raccroche à la biologie tant bien que mal, puis intègre une classe préparatoire scientifique par continuité logique. Mais il y est « dégoûté de l’apprentissage des sciences », notamment en maths et en physique, où il ne comprend plus l’utilité des concepts. Cherchant une échappatoire à ces cours théoriques, il s’intéresse à la botanique pour mieux comprendre le monde végétal qui l’entoure. Il décide de s’y former en autodidacte. Il se perd ainsi dans la Nature, armé de clés d’identification de plantes, et tâtonne : « J’avais faux sans arrêt sur ce que j’identifiais. Pendant très longtemps j’ai cru plein de conneries en botanique. », confie-t-il. La botanique lui apparaît comme une véritable clé « pour comprendre comment s’est structurée la Nature sur tous les temps géologiques, et comment nous avons évolué avec elle ». Ce qu’il apprécie alors c’est les histoires racontées par les arbres phylogénétiques : « Observer que telle plante appartenait plutôt à tel milieu, qu’on la trouve là alors qu’on la trouvait à un autre endroit avant ». Séduit par leur aspect historique, il comprend que les sciences naturelles sont faites pour lui. Il cherche alors des enseignements de botanique à l’Université, en vain, et passe deux années de licence à s’ennuyer. Il finit sa licence plus joyeusement, par un stage de terrain en botanique et entomologie.

« Tombé amoureux des herbiers »

Il intègre ensuite un master de systématique, évolution et écologie (master SEP) au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Là, il « tombe amoureux des herbiers » et trouve ce qui lui plaît : « C’était ma niche, j’avais trouvé le truc dans lequel je pouvais m’épanouir ». C’est au milieu des collections de l’herbier du Muséum qu’il effectue ses deux mémoires de master et commence son travail sur la phylogénie et la taxonomie des euphorbes malgaches. À la suite de ce master, il décroche un financement de thèse au Muséum pour continuer ses recherches sur les Euphorbes, notamment celles de Madagascar. Il s’attèle à des descriptions d’espèces ou des révisions de descriptions, ainsi que des recherches en histoire évolutive, pour tenter d’expliquer comment la succulence s’est mise en place dans les différents groupes.

Une fois sa thèse terminée, après un an de recherches, il obtient finalement un post-doctorat au Muséum d’histoire naturelle de Londres. Il y reste trois ans, sous la direction de Sandra Knapp, botaniste internationalement reconnue. Il reprend son travail de taxonomiste et de phylogénéticien avec une nouvelle famille de plantes à fleurs, les Solanacées. Il se penche sur les Solanacées d’Asie tropicale, particulièrement sur les espèces sauvages apparentées à l’aubergine. Il étudie notamment la biogéographie [4] de ce groupe de plantes pour tenter de comprendre comment les lignées de plantes se sont déplacées dans le temps et l’espace.

Après une nouvelle année à chercher du travail, il décroche un poste d’attaché d’enseignement et de recherche à l’Université de Rennes. Cette expérience confirme son attrait pour l’enseignement, qu’il estime aujourd’hui « encore plus important que la recherche ».

« Un rôle de conseil »

Suite à cette année, il obtient le poste de maître de conférences qu’il occupe aujourd’hui, à l’Université Paris Saclay, où il enseigne la botanique à des parcours de licences et masters liés à l’écologie. Ses recherches actuelles sont toujours axées sur la systématique, la taxonomie et la phylogénie. Il finalise ses travaux sur les Euphorbes et s’intéresse parfois à d’autres groupes comme les Poacées. Mais il consacre la majorité de son temps à la famille des Solanacées. Cette grande famille, d’environ 3000 espèces, a une importance certaine à l’échelle mondiale puisque la tomate, la pomme de terre, le piment ou encore le tabac en font partie. De nombreux∙ses scientifiques travaillent sur cette famille et constituent un véritable réseau, le Sol Genomics Network, organisant des événements annuels. Les recherches sont principalement menées par des génomistes en lien direct avec des intérêts économiques. Et les botanistes qui travaillent, comme lui, sur la diversité de ce groupe sont peu nombreux·ses. Néanmoins, les recherches qu’i∙elles mènent peuvent, selon lui, aider à jouer un rôle de conseil et fournir des données de recherche aux décideur∙euses, pour les orienter dans leur prise de décisions d’un point de vue environnemental.

« La connaissance qu’on peut avoir du monde comme il était avant l’anthropocène, l’industrialisation de masse, c’est maintenant ou jamais. »

Xavier Aubriot

Ainsi, il définit le rôle de ses recherches comme un éclairage : « Idéalement, ce serait éclairer les décideurs politiques. Mais vu les enjeux actuels de déconcentration des savoirs et des pouvoirs, ce travail de conseil doit s’étendre à l’ensemble des citoyens, étudiants, et chercheurs ». Il reste cependant lucide sur la portée de ses recherches : « Nos recherches vont peut-être influencer mais ça ne va pas plus loin qu’un essai d’influence parce qu’il n’y a aucun moyen de contrainte », et sur le rôle qu’il a à jouer : « on n’est pas des politiques, on n’est pas des juges, on peut juste émettre des recommandations » concède-t-il.


« Une course contre la montre »

Le sens qu’il donne à ses recherches, il le justifie comme une nécessité dans un monde « en changement radical depuis 400 ans » qui, comme il le dit, « est passé d’un état quasi-naturel à complètement humanisé ». En effet, « la connaissance qu’on peut avoir du monde comme il était avant l’anthropocène, l’industrialisation de masse, c’est maintenant ou jamais. » argumente-t-il. La nature disparaissant progressivement, notamment les espaces naturels protégés, « c’est le dernier moment pour les étudier tels qu’ils sont, avant qu’ils ne disparaissent ou soient complètement isolés. » prévient-il, « c’est encore le moment de faire le lien entre les collections et le vivant. Mais bientôt, il ne restera plus que les collections ». Malheureusement les spécialistes de la biodiversité ne sont pas en nombre suffisant pour suivre la vitesse à laquelle les espèces disparaissent, « c’est une course contre la montre » dit-il, « une course qui était déjà là il y a 50 ans mais qui là, va très vite, trop vite pour nous ».

Pourtant, il se demande si le sens qu’il donne à ses recherches est reconnu et partagé à l’heure actuelle. Dans le monde académique et au niveau mondial, assez peu d’importance est donnée à ce type de recherches. Il y a beaucoup de communication sur la biodiversité et l’écologie mais elle n’est pas suivie d’effets au niveau du financement des recherches associées, ou de la carrière de chercheur∙es spécialisé∙es dans ce domaine. Il y a, selon lui, une inégalité entre l’utilité que représentent certains travaux à l’échelle sociétale et leur reconnaissance par les pairs ou décideur∙euses économiques et politiques. Et même, il y a une « perversion du sens de la recherche », dit-il, « due à une trop grande importance accordée aux retombées économiques à court terme ».

« Un travail d’historien »

Ces recherches sont pourtant bien nécessaires pour comprendre les dynamiques qui nous ont précédées dans la Nature et qui vont peut-être disparaître. Connaître ce qui s’est passé pour, comme le font les historien∙nes, éclairer notre présent et notre avenir. Construire des idées, des théories, des concepts. « Il y a besoin d’examiner les choses comme sur un site de fouilles avant qu’il ne soit détruit » explique-t-il. Il voit ses recherches comme un travail d’archives et son métier comme celui d’un·e enquêteur·trice, reprenant les mots de Guillaume Lecointre, spécialiste de la phylogénie en France. « On utilise plein de petits faits pour inférer des théories globales sur ce qui s’est passé, comme le font les historiens. », insiste-t-il.

« On aura beau l’étudier autant qu’on veut, on ne pourra jamais véritablement la saisir. La plante c’est l’insaisissable. »

Xavier Aubriot

Aujourd’hui, ce qui le motive d’autant plus dans ce travail d’archives, ce sont les possibilités qu’offre le séquençage dit « de nouvelle génération », c’est-à-dire le fait de pouvoir séquencer de très nombreuses parties du génome, dans le but d’aider à résoudre des questions fondamentales sur l’histoire du monde vivant. Il n’est, pourtant, pas moins pessimiste quant à l’avenir de ces possibilités. Car il constate qu’en dépit d’une accumulation gigantesque de données génomiques, les énigmes historiques restent entières. « On a 20% du génome qui raconte une histoire, 20% qui en raconte une autre, etc. Et on ne sait laquelle choisir » explique-t-il. Mais il admet que cette désillusion est typique du fonctionnement de la recherche scientifique : « espoir et désespoir, ce sont les deux mamelles de la recherche ».

« L’insaisissable »

Le chercheur est en pleine récolte, il tient à la main un outil avec un long manche jaune.
© Xavier AUBRIOT
Récolte de galles de chênes en Pays de la Loire – été 2020

Malgré des frustrations, il reste aussi passionné par son domaine de recherches, passion qu’il transmet avec plaisir dans son activité d’enseignement. Surtout, il n’a rien perdu de sa fascination initiale pour les plantes. Il reste impressionné par « leur côté hyper étranger, extraterrestre, bizarre comparé aux animaux. », car comme il le rappelle : « Ça ne marche pas du tout pareil. C’est complètement imprédictible. ». Il est toujours aussi sensible à la beauté des plantes, à leur omniprésence autour de nous. Et fasciné par les liens qui existent entre des formes végétales aux apparences très différentes. « L’histoire que les arbres et les herbes ont en commun est tout aussi fascinante que celle que partagent les humains et les baleines », argumente-t-il. C’est une évolution qui le passionne d’autant plus qu’elle est, pour lui, « plus muette, moins connue ». Comme, il le dit, la plante, « on aura beau l’étudier autant qu’on veut, on ne pourra jamais véritablement la saisir. La plante c’est l’insaisissable. »

Kimberly BONNEL

« Je n’aurais pas été là si…

… je n’avais pas croisé la route d’un super prof de SVT au collège et si je ne m’étais pas trompé dans mon orientation et découvert ensuite la botanique comme un remède à la mécanique parfois trop bien huilé des études… et du monde ! »

[1] Systématique : Science du vivant ayant pour objet la classification logique des espèces

[2] Taxonomie : Science visant à décrire et nommer les groupes d’organismes vivants

[3] Phylogénie : Science dont le but est l’étude des relations de parenté entre êtres vivants. Les liens de parenté sont couramment représentés sous la forme d’arbres phylogénétiques.

[4] Biogéographie : Étude de la répartition des êtres vivants sur la planète ; dans un contexte temporel pour la biogéographie dite historique.