Valérie : recherche en sociologie de l’éducation

Valérie Caillet, recherche en sociologie de l’éducation

Rencontre avec Valérie Caillet, chercheure spécialisée en sociologie de l’éducation, du fait de son sujet de thèse : « Le sentiment d’injustice chez les élèves ». Aujourd’hui, elle enseigne à l’Institut National Supérieur de Professorat et d’Éducation (INSPE) de l’Université de Cergy-Pontoise et fait partie de l’équipe de chercheur·es du Centre Emile Durkheim (CED) à Bordeaux.

La chercheuse est assise à la table d'une bibliothèque. Ces tables sont disposés en grandes enfilades avec des lampes faisant penser à des lanternes. En arrière-plan, on voit de grandes bibliothèques remplies de livre sur deux étages.
© Valérie CAILLET – Photo de Valérie Caillet « prise dans la mythique bibliothèque universitaire de Bordeaux 2 » où elle a suivi toutes ses études de sociologie.

Quand Valérie Caillet, originaire de Limoges se présente, elle explique qu’après un parcours de bonne élève, elle se destinait, au sortir du baccalauréat, à « devenir professeure d’allemand ou de philosophie en passant par des classes préparatoires Hypokhâgne, Khâgne etc. » Ce parcours « trop automatique » ne l’enchantait guère. Elle explique que ce choix de métier a été finalement assez tardif. « C’est intéressant pour les étudiants d’aujourd’hui, on n’est pas obligé de savoir tout ce qu’on veut faire à 18 ans. » 

Si elle s’oriente vers la sociologie, c’est en partie grâce à Jim Morrison. En 1992, Valérie Caillet, alors lycéenne, est fan des Doors et anime une émission de radio sur le groupe. En se renseignant sur le chanteur et co-fondateur du groupe, elle découvre dans une interview son attrait pour la sociologie. Elle commence alors à lire des ouvrages sur les mouvements de foule, les phénomènes d’influence, tout ce qui relève plutôt de la psychologie sociale. Elle n’a aucune idée des perspectives et débouchés professionnels que la discipline offrait.

« Je n’ai pas choisi un métier. J’ai avant tout choisi une discipline qui n’était pas très connue ou reconnue à l’époque. J’avais envie de découvrir cette matière nouvelle. C’est le lien entre l’individu et le social qui m’intéressait. J’étais animée par une intense curiosité pour le réel ! »

L’université la plus proche offrant un cursus en sociologie est celle de Bordeaux. C’est ainsi que Valérie Caillet quitte le cocon familial pour la capitale girondine, sans imaginer que cette ville allait devenir le lieu où elle allait forger son destin professionnel et personnel.

Pendant sa licence, elle s’inscrit en double cursus sociologie et anthropologie. Longtemps hésitante entre les deux disciplines, elle choisit de continuer en diplôme d’études approfondies (DEA) de sociologie. « Il était impensable de continuer les deux cursus qui représentaient beaucoup d’investissement. » Elle travaille alors sur le métier de prêtre, en sociologie de la religion.

Comme beaucoup d’étudiant·es aujourd’hui à l’université, elle avance dans son cursus sans se poser la question de ce qu’elle va en faire. Elle s’épanouit et réussit dans ses études et, « petit à petit, cette vocation, finalement, commence à apparaître. »

« C’était ce que je voulais être : sociologue. »

Valérie Caillet

Elle ne regrette pas son choix aujourd’hui. La sociologie présente plus de perspectives professionnelles et une meilleure visibilité institutionnelle. Elle suit alors de nouveaux séminaires, tous déterminants pour trouver sa voie.

À l’origine de sa vocation, c’est Didier Lapeyronnie, connu comme le sociologue des marges, disparu il y a peu. « Il dispensait des cours passionnants de sociologie de l’art. J’ai découvert une manière de faire de la sociologie, de s’intéresser à ce que la société fait aux individus, à la manière dont elle les transforme. » Elle confirme ainsi le métier qu’elle veut exercer, parce qu’elle souhaite porter ce même regard sur la société et sur les individus. 

Enfin, elle rencontre celui qui devient son directeur de thèse, François Dubet, sociologue de l’éducation, reconnu au-delà de Bordeaux. Ce dernier lui fait part de son intérêt pour diriger un travail de thèse sur le sentiment d’injustice chez les élèves. Valérie Caillet voit l’enjeu social du sujet et bénéficie d’une allocation de recherche pour réaliser sa thèse. Elle accepte de travailler sur un sujet pourtant éloigné de ce qu’elle a connu auparavant. Elle soutient et obtient sa thèse en 2001. 

Un sujet de thèse qui s’invite dans ses enseignements

À l’issue de ce doctorat elle obtient un poste d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Bordeaux. Elle enseigne auprès des futur·es enseignant·es du primaire et du secondaire pendant un an. Elle obtient en même temps la qualification indispensable pour pouvoir postuler à des postes d’enseignant·e chercheur·e. Elle obtient une double qualification : en sociologie et en sciences de l’éducation puisque son travail portait sur l’école. 

Elle parle de son parcours comme « bien cadencé » et se « considère comme chanceuse » puisqu’elle a eu tout de suite un poste de maîtresse de conférence en 2002 à l’IUMF de l’académie de Versailles, maintenant devenu INSPE rattaché à l’Université de Cergy-Pontoise, dans le Val d’Oise. Elle participe donc à la formation professionnelle des enseignant·es du premier et du second degré. Cependant elle a continué à vivre à Bordeaux où se trouve son laboratoire de recherche, le CED. C’est un laboratoire du CNRS et de l’université de Bordeaux bi-disciplinaire qui réunit sciences politiques et sociologie comparative. Dans ce laboratoire, on parle d’axes transversaux de recherche, non pas de champs ou de thématiques. La sociologue est inscrite dans un axe qui s’intitule « Vulnérabilité, égalité, parcours ».

Valérie Caillet a travaillé pendant sa thèse sur le sentiment d’injustice des élèves. Le point de départ de ses recherches est composé d’un terrain, d’enquêtes empiriques dans des collèges et lycées contrastés de Bordeaux et sa banlieue. « L’enjeu de ces travaux était de comprendre les inégalités ressenties et vécues par les élèves. » Elle a conduit plus d’une centaine d’entretiens individuels ou de groupe auprès d’élèves, mais elle a aussi interrogé des enseignant·es, des conseiller.ères principales·aux d’éducation, des chef·fes d’établissement et d’autres acteur·rices scolaires. Ce travail montre que l’expérience des collégien·nes et des lycéen·nes est traversée par un très fort sentiment d’injustice qui porte sur leur expérience scolaire, qu’importe la position ou le niveau de l’élève. Le constat qui ressort de cette expérience est en lien avec des principes de justice que les élèves mobilisent dans leur argumentation pour décrire et expliquer les raisons de l’injustice ressentie. Elle démontre une pluralité de normes de justice auxquelles sont sensible les élèves et qui sont en tension. Trois ressortent : l’égalité, le mérite et le respect. Ces normes sont mobilisées et revendiquées par les élèves. Elles se trouvent en tension et traversent plusieurs domaines de leur scolarité.

Une volonté de recherche-action

Valérie Caillet se sert encore de ces résultats comme outil de formation avec les enseignant·es. Il faut s’interroger sur l’expérience des élèves. Elle aimerait pouvoir aussi le faire plus auprès des chef·fes d’établissement et envisager des dialogues avec les élèves au sein de la communauté scolaire.

Il est curieux de voir un sujet de thèse s’inscrire dans l’actualité vingt ans plus tard… Il y a aujourd’hui des intérêts qui se font sentir sur sa question de thèse. « Je n’ai jamais été autant contactée que maintenant sur ces questions, ce qui montre bien le temps long du travail de sociologue. » Il y a une prise de conscience nécessairement longue. « Quand on veut faire bouger les représentations sur l’école, sur les élèves, ça prend du temps. Il y a une meilleure connaissance parce qu’il y a une diffusion plus forte dans l’institution scolaire, au niveau des représentants et des ministères, des travaux de sociologie. »

La vraie question, selon la sociologue, à laquelle il est difficile de répondre est : « Est-ce qu’on veut vraiment que ça change ? » François Dubet demandait déjà : « Est-ce qu’on veut vraiment l’égalité des chances ? » Elle dit ne pas en être certaine, mais il y a tout de même des évolutions. En particulier dans la formation professionnelle des acteur·ices de l’éducation. Elle amène aussi à ce que les dernier·ères soient plus sensibilisé·es qu’il y a 20 ou 30 ans sur ces questions. « On parle maintenant de réflexivité. C’est le maître mot de la formation professionnelle, c’est-à-dire la capacité à réfléchir sur sa pratique. »

L'ordinateur et les nombreux papiers et livres prennent toute la place sur le petit bureau. On voit aussi une petite enceinte et une grande lampe à l'abat-jour rose.
© Valérie CAILLET
« La photo du “chercheur en confinement ” : Mon bureau à mon domicile équipé d’un PC et d’une webcam. Plus d’enquêtes ni d’étudiant·es en présentiel mais des cours et des lectures en ligne… »

Actuellement, avec tout le matériel et l’expérience qu’elle a avec les enseignant·es en formation, elle s’intéresse plus particulièrement à la recherche-action. La chercheure met ainsi à profit des travaux auxquels elle a contribué pour essayer de faire évoluer la pratique des enseignant·es.

Entretemps, elle est devenue maman. « Être femme et être mère, en tant qu’enseignante chercheure, c’est aussi une donnée qui joue dans les différences de carrière. Par exemple, les postes de professeur·e d’université (le grade au-dessus de maître·sse de conférence) sont encore peu occupés par les femmes. »

Elle n’a jamais pu trouver un poste à Bordeaux, car aucun n’est dédié à la mutation dans son métier. « C’est un métier très intéressant, passionnant, intellectuellement stimulant, il y aussi des aspects tout simplement statutaires qui, par contre, posent question. »

La sociologie donne un sens à la société

« Les sociologues, on est souvent des chercheurs de terrain. On est comme les autres scientifiques, on fait des expériences. En physique, ils sont dans des laboratoires, nous, notre laboratoire c’est le social. » Selon la définition d’Émile Durkheim, père fondateur de la discipline, « la sociologie, c’est la science des faits sociaux. » Valérie Caillet explique : « C’est une science du regard. La sociologie permet un pas de côté, une distance, c’est un espace d’analyse, de critique, et pour moi, je n’aurais pas dit ça il y a 20 ans, c’est aussi l’expérience qui parle, je crois que la sociologie révèle des choses qu’on ne voit pas au premier regard. Et c’est ça qui m’intéresse. » C’est aussi ce qui est difficile à faire passer. Les sociologues déconstruisent les idées reçues, en allant à contre-courant du sens commun. Elle le voit avec son public d’enseignant·es avec lequel elle fragilise des certitudes. C’est primordial, parce que les sociologues offrent une certaine vision de la complexité du monde moderne qui nous entoure. Il s’agit de ne pas se contenter de ce qu’on pouvait et pourrait croire.

Valérie Caillet se pose la question de la place et du statut des chercheur·es dans la société française actuelle, surtout en sciences sociales. Ces dernières sont considérées comme des sciences « molles », ou des sciences qui n’en sont pas. Le rôle des sociologues est mal compris selon elle. « On n’est pas là pour excuser la violence, notre travail est méconnu et assez peu valorisé. » De plus, le fait de travailler sur des longues périodes est antinomique avec la temporalité des médias ou des réseaux sociaux. Les sociologues sont inscrit·es dans le temps de la réflexion. Leurs travaux sont utilisés par les ministères pour améliorer les conditions du social, même si souvent ces résultats sont décevants. 

C’est pour cela que dans sa pratique professionnelle, Valérie Caillet invite les futur·es enseignant·es à réfléchir sur ce qu’est l’école, comment est construit le système scolaire, mais aussi à la question de l’autorité de l’enseignant·e, aux relations école-famille, aux inégalités scolaires. Son objectif est de réfléchir au rôle de l’école et aux questions d’éthique professionnelle. 

Clémence CASANOVA

Je n’aurais pas été là si…

« Au delà de l’influence de la musique (The Doors), je n’aurais pas été là si je n’avais pas suivi mes intuitions de départ et le fait que j’étais animée par un sentiment de curiosité à l’égard du réel. C’est ce qui a guidé mon choix. La sociologie a été une réponse à cette curiosité. 

Deuxièmement, je ne serais pas arrivée jusque-là sans l’accord implicite de ma famille qui m’a laissée libre de réaliser ce choix. 

Enfin, je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas rencontré des sociologues bordelais de renom qui ont cru en moi, qui m’ont fait confiance, qui m’ont donné le goût de faire de la sociologie. Il y a deux personnes qui ont compté pour moi, Didier Lapeyronnie qui a été à l’origine de ma vocation et François Dubet qui m’a permis de réaliser cette vocation. Et je leur en suis très reconnaissante parce que quand on se fait sociologue, je crois qu’on vit un changement identitaire, c’est toute la vie et toute la personnalité qui est imprégnée par ce métier. »