Stéphanie : quand la recherche se fait clinique

Quand la recherche se fait clinique

« Mon rêve, à moi, c’est de créer un jeu vidéo pour diminuer les symptômes du TDAH. » C’est enthousiaste que Stéphanie Bioulac, psychiatre pour enfants et adolescents, praticien hospitalier au service universitaire de médecine du sommeil de l’hôpital Pellegrin et membre du laboratoire SANPSY1 évoque son métier.

Portait photographique de Stéphanie Bioulac, devant un fnd flouté contenant un sapin de Noël
©Stéphanie BIOULAC
Portrait de Stéphanie Bioulac

Au départ, Stéphanie Bioulac se destinait à la pratique de la médecine. Après six ans d’études dans ce domaine, c’est finalement durant son internat en psychiatrie qu’elle découvre plus spécifiquement la pédopsychiatrie et le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité ou TDAH. « Ça a été une vraie découverte », assure-t-elle. La rencontre avec les patient·es a servi de déclic : « J’adore ces patients parce qu’ils ont une hypersensibilité, une hyper-émotivité assez particulière », confie la pédopsychiatre toujours aussi enthousiasmée. Néanmoins, la praticienne a aussi un parcours de recherche sans lequel son travail serait incomplet : « J’adore soigner les patients mais j’aime aussi vraiment avoir cet exercice intellectuel de lire et d’adapter la clinique en fonction de la recherche. » C’est donc sur cinq ans au lieu de quatre que la clinicienne a fait son internat. Une année étant consacrée à l’obtention de sa deuxième année de master dédiée aux TDAH, puisqu’elle a parallèlement suivi un parcours de recherche avec une thèse en sciences. Parcours qui s’est achevé l’an dernier avec l’obtention de son habilitation à diriger des recherches.

« J’adore ces patients parce qu’ils ont une hypersensibilité, une hyper-émotivité assez particulière »

Stéphanie Bioulac

Aujourd’hui, et après avoir été cheffe de clinique pendant quatre ans, la chercheuse ne conçoit pas son activité de clinicienne sans son activité de recherche. « Mon sens de la clinique et de la recherche, c’est vraiment un lien bidirectionnel. Je ne peux pas penser l’un sans l’autre. » Comme elle le souligne, les deux activités se complètent de telle sorte que l’une avance grâce à l’autre : « C’est bien d’être un bon clinicien pour pouvoir adapter sa recherche en fonction de la clinique mais d’un autre côté, je pense qu’on améliore sa clinique en fonction de sa recherche parce qu’on va rechercher plus de choses. » C’est mue par cet objectif de lier prise en charge et recherche que Stéphanie étudie, depuis une dizaine d’années maintenant, le sommeil, et notamment les troubles du sommeil chez les sujets TDAH.

Une somnolence accrue

Lors de son intégration à l’équipe du laboratoire SANPSY, son ambition était d’étudier la conduite des patient·es affecté·es par ces troubles. En effet, « la moitié des enfants atteints de TDAH, au minimum, a des troubles du sommeil » or, ceux-ci perdurent à l’âge adulte créant ainsi un fort risque de somnolence au volant pour les sujets atteints. Néanmoins, l’équipe s’est intéressée d’abord à l’enregistrement de leur cycle de sommeil. Résultat : « On se rend compte que 25 à 30 % des patients atteints de TDAH sont somnolents alors qu’ils n’ont pas de trouble du sommeil primaire de types d’apnée du sommeil. » Ce sont justement ces même patient·es qui présentent le plus de risques de somnolence au volant. Néanmoins, il existe une forte hétérogénéité parmi elleux : « Les sujets TDAH adultes qui connaissent un peu leur fonctionnement sont capables de dire : “ce qui est compliqué chez moi c’est l’autoroute monotone” tandis que d’autres vont dire que c’est la conduite en ville qui est difficile car il y a trop de distractions. » Cet exemple illustre bien la diversité de profils des patient·es TDAH qui rend les tests diagnostiques difficiles à concevoir.

« Mon rêve, à moi, c’est de créer un jeu vidéo pour diminuer les symptômes du TDAH. »

Stéphanie Bioulac

La chercheuse ne se limite donc pas seulement au diagnostic mais elle étudie actuellement de nouveaux traitements non médicamenteux, basés sur la technologie. Les jeux vidéo, sont son principal centre d’intérêt : « Mon attrait c’est les technologies innovantes et surtout comment elles peuvent aider à diagnostiquer et à prendre en charge les TDAH. L’idée c’est vraiment d’essayer de développer des outils écologiques, proches de la vie quotidienne, pour que les enfants puissent, notamment dans la remédiation cognitive, utiliser des outils plus simples. »

Un trouble neuro-développemental

Le cœur de la clinique, mais aussi de la recherche de Stéphanie Bioulac, se situe donc dans les troubles déficits d’attention avec hyperactivité, raccourcis à l’acronyme TDAH. Elle explique qu’il s’agit d’un trouble fréquent : « Cinq pourcents des enfants d’âge scolaire sont concernés. C’est à peu près un enfant par classe. » Il s’agit d’un trouble dit « neuro-développemental », « c’est-à-dire qu’on ne devient pas patient TDAH à l’âge adulte ». Les troubles neuro-développementaux perturbent l’acquisition des connaissances, ou cognition, mais ils peuvent également toucher au développement affectif de l’enfant. S’ils touchent au développement des interactions sociales et à la communication, on parle de trouble du spectre de l’autisme. S’ils altèrent le développement de l’attention, on évoque alors les TDAH.

Classiquement, les enfants TDAH présentent une hyperactivité ou une instabilité psychomotrice. « Ils ne tiennent pas en place. Ils bougent sans arrêt. Ils sont montés sur des ressorts. » Parallèlement, i·elles sont aussi « distraits, rêveurs, dans leur monde ». Les enfants atteint·es de TDAH sont facilement diverti·es. « Ils peuvent être distraits par ce qui se passe autour d’eux mais aussi par leurs propres pensées. » Suivre des consignes mais aussi réfréner leurs impulsions se révèle être compliqué pour ces enfants qui vivent sous le prisme de l’immédiateté. Tout l’enjeu est de focaliser leur attention. « On leur dit “Stop, think and go”. »

Les prises en charge actuelles sont adaptées à chaque patient·e. Combinant thérapies cognitive, comportementale et médication si besoin, elles ne s’adressent pas seulement aux enfants mais aussi aux parents. Le travail de la praticienne c’est aussi « d’apprendre à un parent comment on fait pour donner une consigne à un enfant atteint de TDAH ». Selon les cas, il faut utiliser une psychothérapie individuelle afin d’améliorer l’estime de soi de l’enfant fortement entamée par la constatation « qu’ils ne savent pas faire comme les autres ». Toutes ces stratégies ne sont cependant pas à opposer. « Elles sont complémentaires. Il faut commencer par une puis les associer, et cetera. » L’utilisation des jeux vidéo viendrait se placer à l’interface entre le diagnostic et la prise en charge.

Une prise en charge ludique

C’est par sa clinique que la chercheuse s’est intéressée aux jeux vidéo dans sa recherche. « Les parents arrivaient en consultation en disant “mon fils a probablement un TDAH mais je ne suis pas sûr parce qu’il peut jouer des heures aux jeux vidéo”. » En réalité, les jeux vidéo correspondent exactement au fonctionnement des enfants atteint·es de TDAH qui ont besoin de retours rapides : « Dans le jeu vidéo, que je perde ou que je gagne, j’ai une réponse directe à mon comportement ». Un outil adapté qui pourrait s’insérer facilement dans leur routine puisque bon nombre d’enfants jouent déjà. « C’est un attrait pour qu’ils acceptent ce type de traitement non pharmacologique. »

Deux photos avec à gauche un enfant portant un casque de réalité virtuelle et à droite l'écran de l'ordinateur qui lui fait face. Celui-ci montre une classe virtuelle
© Stéphanie BIOULAC
Casque de réalité virtuelle utilisé pour les tests sur enfants atteint·es de TDAH

Certains jeux vidéo existent déjà pour le diagnostic des TDAH. La thérapeute a notamment traduit une « classe virtuelle » conçue aux États-Unis. « C’était un logiciel. L’enfant a des lunettes et il est dans une classe. On lui demande de faire un test d’attention alors qu’il y a des distractions qui apparaissent. » Ce type de mise en scène permet de distinguer les enfants atteint·es des enfants sain·es mais l’ambition de la chercheuse va plus loin.

Quatre illustrations accolées de classes de réalite virtuelle utilisée avec les enfants TDAH
© Stéphanie BIOULAC
Classe virtuelle que l’enfant visualise dans le casque

Le jeu en question mettrait en avant les différentes fonctions exécutives. C’est-à-dire toutes ces fonctions de réflexion qui nous permettent de nous organiser. Il placerait l’enfant dans une situation où i·elle doit obtenir de l’aide ou encore faire son sac pour partir à l’école en ne prenant que le strict nécessaire. Le jeu vidéo serait aussi un support pour amener l’enfant vers plus de lâcher prise et de relaxation tout en faisant passer des messages de façon simple. Si l’on prend l’exemple du sommeil, le message se concentrerait sur son importance et les conséquences d’un manque. « Cela peut être un des personnages du jeu vidéo qui, lorsqu’il joue longtemps à ceux-ci et ne dort pas, le lendemain aurait de moins bonnes performances. » Déjà en discussion pour trouver une start-up motivée par le projet, la chercheuse voit ce jeu vidéo comme une thérapie complémentaire à celles déjà existantes : « C’est se servir du fonctionnement cognitif et psychologique des enfants atteints de TDAH pour proposer plusieurs facettes de prise en charge, pas que de la rééducation attentionnelle. »

Néphélie GODIN

« Je n’aurais pas été là si…

… je n’avais pas rencontré un professeur de pédopsychiatrie durant mon internat en psychiatrie. »

1 SANPSY est une Unité de Services et de Recherches (USR 3413) du CNRS et de l’université de Bordeaux

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