Ulysse : la science du doute

LA SCIENCE DU DOUTE

Ulysse Delabre, enseignant-chercheur en physique à l’université de Bordeaux, raconte la recherche scientifique comme un chemin où le doute est omniprésent mais qui offre son lot de surprises.

Le chercheur pose sur un fond  marron et bleu de l'université de Bordeaux.
© 2014. CNRS
Laboratoire Ondes et Matière d’Aquitaine
Portrait d’Ulysse Delabre

Ulysse Delabre, enseignant-chercheur et physicien au Laboratoire Onde et Matière d’Aquitaine à Bordeaux [1], a suivi un parcours d’études qui peut sembler classique en apparence, mais qui n’est pas dénué de certains rebondissements. En terminale scientifique à Rodez en Aveyron, le futur chercheur ne se destine pas encore à la physique et opte plutôt pour une spécialisation en mathématiques : « la physique du lycée était très descriptive, les maths étaient plus rigoureuses », explique le chercheur. La même année, son jeune professeur de Sciences de la Vie et de la Terre change sa vision des sciences. L’enseignant, tout en présentant l’organisation géologique interne de notre planète, avoue que les modèles qu’il enseigne sont ceux admis par la communauté scientifique, mais que les découvertes peuvent remettre en question cette vision des choses. Son cours pourrait donc, dans un futur proche, ne plus refléter les connaissances scientifiques qu’il leur enseigne à ce moment-là. Les sciences se dévoilent alors à Ulysse Delabre comme des connaissances dynamiques et non figées, encore pleines de mystères qui ont besoin de curieux·ses pour les élucider.

Il effectue ainsi une classe préparatoire en trois ans à Toulouse, au cours de laquelle il découvre une physique beaucoup plus mathématisée, plus proche de la modélisation, qui attise son intérêt. Cette nouvelle motivation le conduit à l’ESPCI (École Supérieure de Physique et de Chimie industrielles de la ville de Paris), une école d’ingénieur·e qui a à cœur d’établir une grande proximité avec le monde de la recherche, où de nombreux·ses prix Nobel ont été formé·es. Pierre Gilles de Gennes ainsi que Marie et Pierre Curie y ont également travaillé. Dans cet établissement, il rencontre une nouvelle façon de faire les sciences, très différente de la classe préparatoire où « on a le nez dans les bouquins, on est quasiment jamais en contact avec les laboratoires », confie Ulysse Delabre. Rapidement immergé dans le milieu de la recherche, le chercheur se remémore son expérience avec enthousiasme : « j’ai découvert un univers où l’on ne me parlait pas de ce qu’on sait mais de ce qu’on ne sait pas. »

Premières grandes expériences

Ulysse Delabre explique qu’il est originaire d’une famille dans laquelle il n’y a pas de chercheur ou de chercheuse, qu’il s’est dirigé vers ce milieu petit à petit. Lorsqu’il obtient son diplôme à la sortie de l’école, il se lance tout de même dans une thèse qu’il effectue auprès d’Anne-Marie Cazabat. Avec elle, il travaille sur les films minces de cristaux liquides, qui sont notamment présents dans les écrans de smartphones et d’ordinateurs. L’objectif était d’étudier la stabilité de ces couches fines qui se brisent facilement. Il se tourne ensuite vers l’Angleterre pour son post-doctorat, où il aborde une thématique plus biophysique : la déformation de cellules cancéreuses par des procédés optiques, une physique qu’il découvre véritablement à cette occasion. Ce post-doctorat se déroule dans un lieu prestigieux : le laboratoire Cavendish de l’université de Cambridge, dont les éminents Maxwell et Taylor ont été directeurs, et où la structure de la double hélice de l’ADN a été découverte. « C’était un laboratoire chargé d’histoire, avec sur les murs des photos de tous les scientifiques de renom qui y ont travaillé depuis les années 1880, c’était très impressionnant » raconte le chercheur.

© Ulysse DELABRE
Le schéma de gauche représente la goutte au centre de laquelle on place le laser (en rouge). Les trois photos de droite, en colonne, représentent la goutte, avec les particules que l’on cherche à contrôler en blanc. L’image du bas est celle où la puissance du laser est la plus élevée, et l’image du haut est celle où la puissance du laser est la plus faible. On peut voir que les points blancs sont plus concentrés vers le centre de la goutte lorsque la puissance du laser est plus importante. Si l’on augmente drastiquement la quantité de particules dans cette même goutte, une sorte de croûte de particules se forme à sa surface.

À l’issue de cette expérience formatrice, il revient en France, et travaille quelques mois à Paris avant d’obtenir son poste d’enseignant-chercheur à Bordeaux en 2011, où il travaille sur deux thématiques principales. La première, inspirée de son post-doctorat, aborde la déformation de systèmes biomimétiques modèles, c’est-à-dire des systèmes simplifiés qui copient des propriétés biologiques et physiques et qui permettent d’étudier des phénomènes par analogie. En l’occurrence, il s’agit d’étudier la déformation de cellules cancéreuses induite par des lasers, sans contact, sur des modèles constitués par une membrane ou une vésicule plutôt qu’une cellule. L’objectif à terme est de comprendre comment un laser peut agir sur un objet biologique, ce qui pourrait consister par la suite en une méthode de détection des cellules cancéreuses. La deuxième thématique explore la création de nouveaux matériaux via des dépôts de particules de l’ordre du micromètre. Le laser est également employé, et sert cette fois à contrôler précisément ce dépôt. Le faisceau, placé au milieu d’une goutte d’eau, crée des écoulements autour de lui, attirant ainsi les particules vers le centre de cette goutte.

Une humble contribution

Ces recherches revêtent plusieurs sens, et pour Ulysse Delabre, l’un des aspects motivants est que sa recherche soit « intégrée dans un projet plus grand, notamment vis-à-vis de la collaboration avec les autres chercheurs ». Par exemple, la thématique qui s’articule autour de la déformation de vésicules modèles s’inscrit dans un plus grand projet de recherche de l’université de Bordeaux, Frontiers Of Life. L’idée derrière est de savoir ce qui est nécessaire à la création d’une cellule dite minimale, « quels sont les ingrédients indispensables à intégrer dans un « sac » pour créer une cellule qui soit capable de se diviser, de se déplacer », explique le physicien, ajoutant qu’elle a ainsi « besoin de motilité et de rigidité ». C’est sur ce dernier point qu’il intervient. Derrière cette compréhension de la cellule, il y a des objectifs médicaux, et le chercheur, bien qu’il sente son travail éloigné de cet ultime but, espère « qu’une brique sera prise à un moment donné et sera réutilisée ». La thématique concernant le dépôt de particules est à l’origine plus liée à la compréhension fondamentale de ce sujet, à une certaine curiosité scientifique tout simplement. Ce qui motive le plus Ulysse Delabre, c’est d’amener son système « le plus loin possible pour qu’il puisse servir à un maximum de personnes ».

« J’espère qu’une brique sera prise à un moment donné et sera réutilisée. »

Ulysse Delabre, novembre 2020

L’intérêt de ce travail de groupe est que des idées germent. Par exemple, une analogie est possible avec la croûte géologique terrestre, et le mouvement des plaques tectoniques qui ressemble aux écoulements observables dans le système étudié par Ulysse Delabre. C’est cette possibilité de reproduire des mécanismes complexes avec de la « physique de coin de table » qui séduit le chercheur depuis sa thèse.

Cette expression, il la tient de sa directrice de thèse qui était une très proche collaboratrice de Pierre-Gilles de Gennes, professeur au Collège de France. À l’occasion de cette expérience de recherche qu’il décrit comme très positive, Ulysse Delabre a découvert ce que c’était que faire de la physique de « haute voltige » de façon simple. Il en tire une leçon, qu’il résume en reprenant les mots d’Anne-Marie Cazabat, reconstituant ses paroles à voix haute : « on peut faire de la physique de coin de table très belle, très compliquée, mais les véritables buts ce sont de choisir le système qu’on veut regarder, et pourquoi on le choisi. » Son post-doctorat à l’étranger l’a également beaucoup influencé. Il y a découvert un autre fonctionnement de la recherche, qu’il n’avait jamais expérimenté avant, et qui l’a inspiré.

Le kit contient une raquette de ping pong, une balle, un téléphone portable, une bouteille d'eau, un chargeur, une webcam et d'autres objets. On voit également une bouilloire sur le côté. Deux posti-it indiquent "le Kit" et "Les manipes confinées"
© Ulysse DELABRE
Le kit de travail d’Ulysse Delabre pendant le confinement

Enfin, Ulysse Delabre affirme que « le moteur principal de tout ça, c’est la curiosité ». La propension à se poser des questions face à un phénomène. Sans cette curiosité, il ne se serait pas lancé dans le métier de chercheur. C’est cette même qualité qu’il essaie de transmettre à ses étudiant·es.

Nathan FLORENT

« Je n’aurais pas été là…

… si ma famille ne m’avait pas aidé à avancer. »

Il ne serait pas là aujourd’hui sans ses diverses expériences professionnelles, et le physicien ne manque pas de rappeler que sa famille a joué un rôle très important. En effet, il explique que le métier de chercheur·e peut être difficile : « être chercheur, c’est un peu déstabilisant, parce que tu cherches des choses, mais tu n’es jamais sûr de ce que tu trouves. » Cela reflète bien l’un des préceptes des sciences, inscrit sur le mur d’un bâtiment de l’ESPCI : « la véritable science enseigne, par-dessus tout, à douter et à être ignorant. » Cette citation de Miguel de Unamuno qu’il voyait tous les matins en allant en cours, l’a questionné. Dans ce monde de doute constant, c’est sa famille proche qui l’a aidé à avancer.

[1] Les tutelles du LOMA sont le CNRS et l’université de Bordeaux.

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