Morgane : une passion bien enracinée

Une passion bien enracinée

À la fois doctorante en dernière année, paysagiste et enseignante à l’École Nationale Supérieure de l’Architecture et du Paysage de Bordeaux (Ensap), les plantes occupent une grande partie de la vie de Morgane Robert, et ce, jusque dans son salon.

Morgane Robert est une jeune femme aux cheveux bruns et bouclés, elle se trouve dans un jardin ensoleillé. A l'arrière plan on voit aussi un bâtiment et des chaises.
© Morgane ROBERT, 2020
Portrait de Morgane Robert

Morgane Robert est doctorante en cinquième année dans le laboratoire Passages (1), mention Architecture et Paysage « mais avant tout en paysage » précise la doctorante. En effet, elle obtient son diplôme de paysagiste DPLG (Diplômée Par Le Gouvernement) à l’Ensap de Bordeaux en 2016. Mais lorsqu’elle obtient ce diplôme, Morgane a déjà un pied dans la recherche : pendant sa dernière année d’étude, le laboratoire Passages, lui propose de participer en tant qu’assistante de recherche au projet « Savanes », un programme de recherche interdisciplinaire rassemblant géographes, écologues, agronomes, phyto-sociologues, historien·nes et paysagistes ayant pour objets les savanes réunionnaises. C’est pendant cette année que son projet de thèse prend racine : l’étude des processus paysagers en lien avec les dynamiques et l’exploitation des ressources végétales sur l’île de La Réunion. Sous la direction de Serge Briffaud, historien et professeur (Ensap Bordeaux) et de Véronique André – Lamat, géographe, enseignante-chercheure (UBM), Morgane étudie les processus paysagers de ces savanes et leurs évolutions dans le temps au prisme d’une plante : le cassi ou mosa, du nom latin Leucaena leucocephala.

La plante, un fil conducteur

Bien que l’idée de se lancer dans la recherche après son diplôme lui soit venue petit à petit, c’est bien sur les bancs d’un séminaire d’initiation à la recherche organisé pendant sa dernière année d’étude que Morgane se décide vraiment à poursuivre en thèse. Ses discussions avec les chercheur·es du projet et sa rencontre avec Serge Briffaud conduisent Morgane à s’intéresser au terrain de La Réunion. Elle commence même à étudier les savanes réunionnaises d’un point de vue géographique, mais, au fil du travail de terrain, l’entrée ethnobotanique, l’étude de l’usage des plantes telle que Leucaena leucocephala, s’impose d’elle-même : « Finalement, ce sujet regroupe mes centres d’intérêts : j’ai toujours eu cette passion pour la botanique, pour le monde des non-humains de manière générale, mais des plantes particulièrement. »

« Finalement, ce sujet regroupe mes centres d’intérêts : j’ai toujours eu cette passion pour la botanique, pour le monde des non-humains de manière générale, mais des plantes particulièrement. »

Morgane Robert, paysagiste et enseignante à l’Ensap de Bordeaux

Vers un statut de « plante utile »

Aujourd’hui, la plante qu’elle étudie est considérée comme une des plus envahissantes du monde par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), une organisation mondiale qui classe les espèces selon des critères de rareté, d’endémicité ou encore d’envahissement. « Je le vois un peu comme l’organisme qui supervise les échelles de valeurs attribuées aux êtres vivants, et les rapports hiérarchiques d’importance qu’ils ont les uns par rapport aux autres » précise Morgane. Son travail contribue justement à questionner cette hiérarchisation et les statuts donnés aux espèces : « On ne peut pas statuer sur le caractère intrinsèquement et mondialement envahissant d’une espèce, parce que les trajectoires diffèrent selon les situations et les moments de l’Histoire. » L’histoire de Leucaena leucocephala illustre bien cette idée : aujourd’hui, sur l’île de La Réunion, cette plante est indéniablement très dynamique et donc considérée comme envahissante. Parce que classée comme telle, on cherche à l’éradiquer, à l’image d’autres espèces – dont une dizaine rien qu’à La Réunion – pour lesquelles des chantiers de coupes massives et d’arrachage sont organisés chaque année. Déployant alors des moyens humains, économiques et logistiques colossaux pour lutter contre leur prolifération. Cependant, ces chantiers de grande envergure ne suffisent parfois pas à ralentir la prolifération de ces plantes qui ont des stratégies de peuplement très intenses. C’est ici que le travail d’investigation ethnobotanique et historique des usages de Leucaena leucocephala entre en jeu.

L’usage, un moyen de gestion de la plante

En effet, le Leucaena leucocephala n’a pas toujours été une plante envahissante. Originaire d’Amérique Centrale, les humain·es l’ont emmenée dans leurs voyages, jusqu’à son introduction à l’île de La Réunion au Jardin du Roi au début du XIXe siècle. Elle est actuellement présente dans une grande partie des pays de la ceinture intertropicale, où elle a aussi parfois proliféré de façon incontrôlée. Pendant environ un siècle et demi, Leucaena leucocephala faisait partie intégrante des usages des populations réunionnaises de l’époque, ce qui permettait de contenir sa prolifération. Initialement introduite à La Réunion pour ses propriétés fourragères, elle était surtout donnée à manger au bétail mais aussi utilisée pour l’artisanat, le bois de cuisine ou de chauffe. Aujourd’hui, par son nouveau statut scientifique et public de plante envahissante, elle n’est plus considérée comme utilisable et est même diabolisée dans certains discours officiels : « Si on essaie de gérer une plante, il faut l’utiliser, et pour l’utiliser, il faut changer le statut, changer le sens qu’on attribue à cette plante. » En considérant Leucaena leucocephala comme une plante utilisable et utile plutôt qu’invasive, il serait donc possible de trouver un équilibre entre l’usage de cette plante pour les humain·es et les non humain·es et sa présence sur l’île, et ainsi infléchir les dynamiques paysagères. Pour la jeune doctorante, l’objet paysage est transversal par essence : « C’est quelque chose qui est à la fois une surface matérielle et physique visible mais qu’on appréhende aussi par les sens et les filtres perceptifs. » Ainsi, cette surface matérielle qu’est le paysage porte des réalités géographiques, botaniques et humaines, c’est pourquoi le sujet de thèse est au croisement de plusieurs disciplines : « Ça se retrouve dans la méthode de la thèse et dans ses dimensions épistémologiques » précise Morgane « mes objets principaux, ce sont le paysage et les dynamiques végétales, mais j’ai emprunté un peu à l’ethnobotanique, à la géographie, à l’ethnographie pour élaborer ma méthode d’investigation. Et ça, je pense que c’est induit par la qualité transversale de l’objet principal qui est le paysage. » Morgane espère donc que ses recherches permettront de modifier les moyens d’actions des politiques publiques quant à la gestion des espèces envahissantes : « Un paysage existe parce qu’on a des pratiques, des activités qui le forment en conditionnant ses dynamiques. »

« Si on essaie de gérer une plante, il faut l’utiliser, et pour l’utiliser, il faut changer le statut, changer le sens qu’on attribue à cette plante. »

Morgane Robert, paysagiste et enseignante à l’Ensap de Bordeaux

Un voyage dans le temps

Comme on étudie parfois l’histoire d’un objet ou d’une idée pour mieux comprendre une société, la paysagiste chercheuse étudie l’histoire de cette plante, le lien que les sociétés locales ont eu et continuent d’avoir avec elle pour mieux expliquer les processus paysagers d’aujourd’hui : « Par plusieurs procédés techniques, je remonte en quelque sorte le temps. » Pour cela, elle s’appuie sur la photo-interprétation à la fois de photographies aériennes, avec lesquelles elle peut remonter jusqu’aux années 1950, mais aussi de clichés pris à « hauteur d’Homme ». Dans ce cadre, et avec le programme de recherche « Savanes » de l’UMR Passages auquel sa recherche est associée, Morgane a rassemblé un important corpus photographique. Elle l’a alimenté grâce à des fonts d’observatoires du paysage, de géographes ayant parcouru l’île dans les années 1960-1970, des campagnes menées par des chercheur·es dans les années 2000 et du travail d’un photographe local dans les années 2000-2010. À partir d’une photo ancienne, l’équipe essaie de retrouver le point de prise de vue, reproduit cette photographie et compare les deux clichés pour comprendre les dynamiques du paysage entre deux dates. « Il y a vraiment cette idée de remonter dans le temps pour quantifier et qualifier les dynamiques végétales et paysagères. »

Bureau de la chercheuse en confinement, il est recouvert de plantes, de livres, d'un ordinateur portable et d'un écran.
© Morgane ROBERT, 2020
Bureau de Morgane Robert en télétravail

« Par plusieurs procédés techniques, je remonte en quelque sorte le temps »

Morgane Robert, paysagiste et enseignante à l’Ensap de Bordeaux

Retour aux racines

En plus de celles de paysagiste et de chercheure, Morgane a une troisième casquette depuis trois ans : celle d’enseignante. Son intérêt pour les plantes l’a amenée à enseigner la botanique, l’écologie et l’étude des dynamiques végétales aux étudiant·es de première année de l’école où elle a elle-même étudié : l’Ensap de Bordeaux. Elle intervient aussi sur un atelier de projet d’investigation des friches de Bordeaux et de sa métropole avec les étudiants·es de dernière année, qui sont invité·es à devenir à la fois enquêteur·ices et archéologues : à partir d’indices végétaux, i·elles constituent un récit paysager retraçant l’histoire végétale du lieu, les futur·es paysagistes sont ensuite accompagné·es pour proposer un projet de paysage sur cet espace. Il y a peu, étudiante dans cette même école, Morgane fait de cette expérience récente une force et essaie d’adapter sa pédagogie à ce qu’elle a elle-même vécu pendant ses cinq années d’études.

Coline DABESTANI

« Je n’aurais pas été là si…

 … je n’avais pas grandi près de la forêt. » Bien que les rencontres aient été décisives dans sa carrière, pour Morgane, c’est le paysage de son enfance qui a fait d’elle la chercheuse qu’elle est aujourd’hui. Plus particulièrement, le bout de forêt et le jardin accolés à sa maison d’enfance, en Dordogne. Cette proximité avec le végétal a créé un lien fort avec le paysage, les plantes et les animaux qui l’entouraient alors : « J’ai grandi dans un environnement parfait, où on me laissait expérimenter au fil des saisons avec les plantes et le jardin, où on me laissait observer et rêver. »

(1) Unité mixte de recherche rattachée au CNRS, à l’Université Bordeaux Montaigne (UBM), à l’Ensap de Bordeaux, à l’université de Pau et des Pays de l’Adour et à l’université de Bordeaux

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