Des maux fantômes

Des maux fantômes

Les sens peuvent nous induire en erreur. Un membre amputé peut quand même faire mal. Revenons sur ce phénomène de « douleur fantôme » avec Matthieu Guémann, postdoctorant en neurosciences à l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine (Incia).

Un homme amputé du bras droit. On ne voit que son bras avec le dispositif inventé par l'équipe de chercheur·es. Ça ressemble à un bracelet blanc relié à de nombreux fils et un deuxième bracelet épais noir au dessus. On aperçoit sa bouche et il porte comme un foulard rouge.
© Matthieu GUÉMANN – Image d’un patient lors de l’expérimentation que réalisé à l’Incia

Près de 90 % des patient·es amputé·es d’un membre le ressentent encore, et ce, bien souvent sous forme de douleurs appelées « douleurs fantômes » ou « douleurs du membre fantôme ».

Matthieu Guémann explique que « les explications de ces douleurs sont multiples. La première cause : périphérique, est celle du névrome ». C’est un phénomène lié à la mauvaise cicatrisation des nerfs après l’amputation. Ceux-ci n’ont plus de cible, puisque le membre a été coupé, mais ne sont pas morts pour autant. Ainsi, ils continuent à faire circuler de l’information vers le cerveau, qui se traduit souvent en signal douloureux.

La deuxième cause : centrale, est liée au contrôle descendant des messages sensoriels. « Lorsque nous nous faisons mal à la main par exemple, nous avons tendance à frotter cette dernière pour faire passer la douleur. En effet, le signal de frottement arrive plus vite au cerveau et permet de bloquer l’information de douleur. » L’information tactile est plus rapide que l’information douloureuse et vient donc surpasser la seconde. Or, une personne amputée ne peut pas soulager cette sensation.
Ainsi le cerveau finit par interpréter ce signal comme de la douleur.

Enfin, la troisième cause : corticale, serait l’absence de stimuli liés au membre qui ne bouge plus. De cette manière, la zone du cerveau correspondant à cette partie du corps se fait envahir par les neurones de zones voisines. Comme c’est le cas pour « des personnes auxquelles on touche la joue et qui ressentent une pression dans la main absente » décrit le chercheur.

Lutter contre la douleur

Il existe trois solutions pour palier ces sensations. La première est médicamenteuse. Cependant, le spécialiste avance certaines limites : « Ses effets ne se font sentir bien souvent qu’à court terme et il peut y avoir des phénomènes d’adaptation, de résistance et de dépendance. »

Au niveau de la rééducation, il existe plusieurs approches, l’une d’entre elles est appelée « thérapie miroir ». Le membre amputé est placé dans une boîte avec un miroir. Il fait face au membre non amputé et permet de voir le reflet à la place du moignon. L’objectif est d’effectuer des mouvements synchrones afin que la personne voit, dans le miroir, son membre absent bouger. « Cependant comme pour les médicaments, les preuves scientifiques sont encore faibles parce que ce n’est jamais fait de la même façon. Il n’y a pas de protocole idéal comme avec des médicaments dont on connaît la posologie. La thérapie miroir dépend des habitudes des thérapeutes et des patients. »

Enfin, la dernière solution connue est chirurgicale. Elle consiste à rattacher les nerfs sectionnés à d’autres pour leurs donner un support. La personne amputée peut alors sentir, par exemple, son biceps se contracter lorsqu’elle essaye de bouger la main.

Vers des prothèses plus performantes

Matthieu Guémann travaille sur les problématiques du contrôle moteur et donc du retour sensoriel. Il a créé un capteur qui permet de redonner de l’information tout au long d’un mouvement réalisé par un·e patient·e ayant recours à une prothèse pour effectuer des gestes plus fluides. « On essaye de recréer un message sensoriel pour permettre aux patient·es d’avoir des mises à jour de ce qu’i·elles font quand i·elles bougent sans avoir besoin de regarder leur prothèse. »
Avec son équipe, il « invente un nouveau sens » en travaillant sur la création d’un message sensoriel par le biais de vibrations au travers d’un dispositif installé sur le moignon. Ce travail s’inscrit aussi dans une volonté de lutter contre la douleur par la rééducation avec une approche vibro-tactile. Pour l’instant, les recherches sont en cours, et l’équipe ne travaille pas encore avec des prothèses mais avec des représentations sur écran. « L’objectif est de donner un support visuel pour retrouver la congruence entre l’action et la perception. » Le fait d’avoir un retour sensoriel pourrait être une réponse aux douleurs fantômes.

Clémence CASANOVA

À PROPOS DE Matthieu Guémann

Portrait de Matthieu Guemann en plan poitrine. Il pose souriant et le regard fixé à la caméra devant un fond naturel et boisé. Il a les cheveux châtains clairs, une barbe courte de la même couleur que ses cheveux et des lunettes transparentes. Il porte un polo rayé bleu et blanc.
© Arnaud RODRIGUEZ – Bordeaux Neurocampus – Portrait de Matthieu Guémann

Matthieu Guémann est post-doctorant en neurophysiologie dans l’équipe d’Aymar De Rugy, Contrôle sensorimoteur hybride à l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’aquitaine (Incia) de l’Université de Bordeaux, du CNRS et de l‘École pratique des hautes études.

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