Podcast : Inclusif·ves ?

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Inclusif·ves ?

© Nina GASKING
Visuel : Inclusif·ves ?

Avez-vous déjà entendu parler de l’écriture inclusive ? Que la réponse soit oui ou non, je vous conseille de rester avec moi parce que cette expression, écriture inclusive, est plus complexe qu’elle n’y paraît. On ne la comprend pas, on ne l’aime pas, on l’adore, on l’utilise ou on la juge… J’ai mené l’enquête pour comprendre ce qu’il en est.

Alors, qu’est-ce que l’écriture inclusive ? Pourquoi l’utiliser ? Et pourquoi fait-elle polémique ?

[Musique jingle]

Vous vous baladez sur le site de notre Semaine de culture scientifique et technique, L’Enquête des Sens, et vous avez peut-être remarqué, au fil de vos lectures, qu’il y a ce que l’on appelle des points médians un peu partout. Comme chercheur·es, où à la fin du mot chercheur il y a un point et puis “E S”. Ce ne sont certainement pas des fautes d’orthographe ou de typographie mais un exemple, parmi tant d’autres, d’écriture inclusive.

Nous avons fait ce choix d’utiliser cette écriture, alors revenons dessus pour mieux la comprendre. J’enfile mon chapeau de Sherlock Holmes et je me plonge dans la recherche.

Une définition difficile

Pour notre premier mystère à résoudre, nous allons définir l’écriture inclusive. Il est quand même nécessaire que nous parlions de la même chose. J’ai fouillé des heures, j’ai tout inspecté avec ma loupe et je suis arrivée à la conclusion… Qu’il n’y a pas de définition unique qui fait consensus. Oui, je sais, cette enquête commence terriblement mal. Mais je vais faire de mon mieux et vous expliquer ce que j’ai retenu. L’écriture inclusive est un ensemble de règles et de pratiques dont le but est d’éviter toute discrimination sexiste par le langage ou l’écriture. Cette écriture peut se traduire par le choix des mots, de la syntaxe, de la grammaire ou de la typographie.

Pour mieux comprendre je vais vous montrer des exemples. Cela fait un moment que nous avons féminisé des noms de fonctions, de métiers, de titres. On dit une avocate, une chirurgienne, une présidente. Ça c’est un peu le niveau zéro de l’écriture inclusive. Et déjà, on remarque qu’il n’y a pas consensus. Est-ce que vous, vous dites auteure ou autrice ? Je vous laisse y réfléchir.

Ensuite une autre façon d’utiliser l’écriture inclusive est de remplacer certains mots. Au lieu de dire le droit des Hommes, on peut dire les droits humains. Ou vous pouvez utiliser « la personne » si vous souhaitez parler de quelqu’un que vous ne connaissez pas. Par exemple : « La personne qui a inventé le chocolat est vraiment géniale. » On remarque aussi que l’écriture inclusive se retrouve dans un certain nombre de formulations. Comme : « Bonjour à toutes et à tous » ou « Chères clientes, chers clients ». Ça me fait d’ailleurs penser au discours du Général de Gaulle qui disait : « Françaises, Français… »

Une autre façon d’utiliser l’écriture inclusive est l’utilisation de ce fameux point médian, ou un point classique, ou des parenthèses, ou des traits d’unions qui servent à marquer l’alternance masculin/féminin. Parfois aussi une répétition dans chaque genre. Par exemple, au lieu de dire de manière générale « les enseignants » on dit les enseignants et les enseignantes, ou on peut écrire les enseignant-es ou les enseignant·es.

Puis l’écriture inclusive, ça peut aussi être de nouveaux pronoms, comme « iel », I E L. Contraction de il et elle. Un pronom neutre en fait.

Au final il y a plein de façons d’utiliser l’écriture inclusive. Je n’ai choisi que quelques exemples pour l’illustrer. Mais les preuves sont là, même sans définition unique, on sait au moins qu’elle existe.

La domination du masculin grammatical

Vous vous demandez peut-être à quoi tout cela peut bien servir. Pour mieux comprendre, je vais vous faire participer à ma petite enquête. Si je vous dis que nous sommes cinq étudiants à avoir réalisé ces podcasts, qu’est ce que vous imaginez dans votre tête ? Je vous laisse quelques secondes pour visualiser les étudiants. C’est bon ? Maintenant si je vous dis que nous sommes cinq étudiants et étudiantes à avoir réalisé ces podcasts ? Y a-t-il un changement ?

Vous étiez, ceci dit, peut-être déjà très influencé par le fait qu’en m’écoutant vous visualisez sûrement une femme. Mais vous avez peut-être compris où je voulais en venir. Là est notre deuxième mystère : pourquoi utiliser cette écriture ? Cette question est en fait très délicate. Alors plutôt que d’y répondre directement et par moi-même, je vais citer des personnes dont le métier est de réfléchir à ce genre de questions.

Première citation, provenant d’un article de The Conversation, écrit par Anne Dister, Dominique Lafontaine et Marie-Louise Moreau, trois universitaires venant de linguistique et de sciences de l’éducation : « Pour l’essentiel, cette écriture vise à rendre les femmes davantage visibles, en indiquant explicitement leur présence, et à mettre fin à la supposée domination du masculin grammatical. »

Poursuivons avec Maria Candea, sociolinguiste et sociophonéticienne à l’Université Sorbonne qui nous dit : « Lorsqu’on utilise le mot inclusif on fait allusion au fait que le masculin est censé avoir une valeur générique mais désigne, ou du moins va être perçu, dans de nombreux contextes, comme désignant des humains masculins ; on considère alors que le masculin exclut de sa référence les êtres humains de genre féminin, et qu’il est nécessaire de trouver une manière de les “inclure”. L’écriture inclusive s’oppose ainsi à l’écriture au masculin, l’écriture présentée par l’Académie française comme la bonne écriture, qui n’est pas assez inclusive. »

Pour finir, Aron Arnold, un chercheur spécialisé en sociophonétique, sociolinguistique et anthropologie linguistique, nous explique, qu’une des visées de l’écriture inclusive est : « [De] ne pas invisibiliser le genre féminin par le masculin générique et faire apparaître les déclinaisons féminines aussi souvent que les masculines. »

J’espère que je ne vous ai pas trop ennuyé avec mes citations et surtout j’espère que vous comprenez mieux ce qui peut motiver l’utilisation de l’écriture inclusive. Ici, il s’agissait donc bien de défendre l’écriture inclusive et son utilité.

La guerre des tribunes

À ce stade, je ne sais pas si vous aimez ou si vous détestez l’écriture inclusive. Peut-être même que vous êtes indifférent ou indifférente. Et à vrai dire, quelle que soit la réponse, ce n’est pas très grave. Puisque dans tous les cas vous trouverez des personnes qui, comme vous, défendent un certain point de vue. Je vous laisse choisir votre camp. Parce que si vous ne le savez pas, même si vous l’avez sûrement deviné, l’écriture inclusive fait polémique. C’est ici que commence notre troisième mystère et la dernière partie de notre enquête.

Le 18 septembre 2020, une tribune publiée dans Marianne prend position contre l’écriture inclusive, signée par 32 linguistes. Une citation vient la résumer dès le début, je cite « Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. » Les linguistes qui sont à l’origine de cette tribune défendent que l’écriture inclusive relève du militantisme et qu’elle n’est pas abordée d’un point de vue scientifique. Vous pouvez retrouver dans cette tribune une liste de défauts de l’écriture inclusive. Par exemple :

  • Le fait que les mots féminin et masculin n’ont pas le même sens appliqués au sexe ou à la grammaire : il est défendu que trouver un quelconque privilège social dans l’accord des adjectifs est une simple vue de l’esprit ;
  • Ou encore que les formes masculines du français font fonction de genre « neutre », c’est-à-dire par défaut, ce qui explique qu’elles interviennent dans différents accords : « ils ont encore augmenté les impôts », « il pleut », « c’est beau ». Il n’y aurait là aucune domination symbolique ou socialement interprétable ;
  • Une autre idée mentionnée est que les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots et créent des racines qui n’existent pas. Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords ;
  • Enfin un dernier exemple d’argument contre l’écriture inclusive est la difficulté de la lire puisqu’elle ne se prononce pas directement. 

Les réponses à cette tribune n’ont pas tardé puisque le 25 septembre 2020, donc seulement une semaine plus tard, une autre tribune a été publiée dans Médiapart, celle-ci signée par 65 linguistes. Dans cette dernière, les signataires pensent que la linguistique est ancrée dans le social, le politique et le médiatique. Qu’il faut s’adapter aux usages langagiers des locuteurs et locutrices d’aujourd’hui. Ils et elles se débarrassent de, je cite, « l’encombrant poids symbolique du “masculin qui l’emporte”. »

Cette petite guerre des tribunes peut vous sembler anecdotique, mais elle résume bien les positions bien tranchées par rapport à l’écriture inclusive. Finalement les arguments pour la défendre ou pour s’y opposer peuvent être classés en trois catégories :

  • Tout d’abord historique : il faut choisir entre se débarrasser des règles d’un autre âge ou ne pas toucher aux classiques et à la tradition ;
  • Puis les arguments d’esthétique et de lisibilité : ici à vous de choisir entre « c’est horrible et laid » ou « on s’habitue très vite à cette écriture » ;
  • Et enfin des questions d’idéologie : soit on s’oppose à la domination patriarcale soit on pense qu’il s’agit d’une chasse obsessionnelle au féminin et qu’on ne peut pas démonter et remonter une langue. 

Quel que soit votre avis, il est important de savoir qu’il y a eu énormément d’études scientifiques sur la question de l’écriture inclusive. Par exemple, une étude de 2005, montre que si les noms de métiers sont toujours au masculin, les jeunes filles ont l’impression qu’il est difficile pour elles d’entreprendre des études pour ces métiers et que les hommes ont plus de chances de réussir. Ou encore une étude a montré que même si à la première occurrence d’un doublon (par exemple les étudiants et les étudiantes), cela rend la lecture ralentie, dès la deuxième occurrence, la lecture redevient tout à fait normale. En revanche, des études scientifiques montrent que l’ordre choisi pour présenter chaque élément « les boulangères et les boulangers » VS « les boulangers et les boulangères » a un effet sur l’interprétation : l’élément présenté en premier est perçu comme plus central ou plus important.

Notre enquête prend fin mais comme vous pouvez le voir nous n’avons pas résolu tous nos mystères et il est clair que la recherche doit continuer pour étudier les différents outils proposés. N’oublions pas tout de même que les usages d’une langue se développent pour des besoins sociaux et de communication. La langue française n’est pas seulement le domaine des scientifiques, elle nous concerne toutes et tous.

Nina GASKING

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