Podcast : Les Langues imaginaires

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Les Langues imaginaires

Livre ouvert en deux avec un anneau au centre du bouquin comme posé sur la reliure intérieure. Celui-ci est décoré d'une bouche rosée.
© Jeswin JOMON sur Unsplash, adapté par Aksel TOURTE
Visuel : Les langues imaginaires

De l’elfique de J.R.R Tolkien au lapine de Richard Adams en passant par le dothraki de David J. Peterson, les langues imaginaires intriguent autant qu’elles fascinent. Créer une langue qui n’existe pas, un moyen efficace de s’immerger dans l’univers de l’auteur, ou de l’autrice, et qui donne à celui ou celle-ci une certaine légitimité d’existence. Mais au-delà de l’aspect linguistique que cela soulève, comment est-il possible de créer une langue imaginaire ? Quelles idées ? Quels mécanismes se mettent en place ? Et surtout… Pourquoi ? Suivez-moi dans cette enquête qui va en délier, des langues.

[Musique jingle]

Si vous deviez trouver le point commun entre Harry Potter, Legolas l’elfe sylvain et Fiver le lapin de Watership Down, quel serait-il ? Des héros investis d’un lourd destin ? Des personnages fictifs possédant des dons innés et inouïs ? Vous avez tout juste ! Enfin… pas vraiment. Je les suspecte fortement d’employer des langues inventées : des conlangs. [Bruit de page qui se tourne]

De Tolkien… à vous ?

Créer un langage est un processus complexe et fastidieux, qui demande des années et des années de recherches, d’études et de réflexions, pour un résultat parfois mitigé. Prenons par exemple Tolkien, un maître en la matière. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est le créateur de la célèbre saga Le Seigneur des Anneaux, ou « The Lord of the Rings » (admirez mon merveilleux accent anglais) pour celles et ceux qui, comme moi, sont fervent·es défenseurs et défenseuses de la version originale. Et pour cela, il a passé une bonne partie de sa vie à créer non seulement ce chef-d’œuvre de la littérature fantastique, mais aussi et surtout non pas une mais plusieurs langues elfiques : le quenya et le sindarin, pour ne citer qu’elles. Et pour tout avouer, ces langues resteront à jamais inachevées, bien que leurs règles de grammaire et d’orthographe concordent, et qu’elles puissent être parlées, car son auteur nous a quitté, et pensez bien qu’il était le seul à connaître les tenants et aboutissants de ses propres créations. Emportant son secret dans sa tombe. [Bruit de page qui se tourne]

Alors il est important de souligner qu’une langue est différente d’un langage. Le langage est en effet la capacité qui permet de communiquer et d’interagir entre nous, là où une langue est un outil permettant cette communication. Mais comment créer une langue fictive ? Peut-être que l’œuvre de Tolkien vous inspire ? Que vous souhaitez vous lancer dans la création d’une nouvelle Terre du Milieu, un monde dans lequel différentes races, différentes ethnies se rencontreraient, lieraient des liens forts ? Un monde où des forces maléfiques menaceraient la quiétude des êtres et des choses ? Où les peuples communiqueraient dans un langage dont vous seul·e connaissez les secrets ? Alors lancez-vous, mais laissez-moi vous rappeler que vous devrez vous y atteler corps et âme, un vrai travail de fourmis, et un questionnement perpétuel… Prêts ? Prêtes ? [Bruit de page qui se tourne]

Comment créer une langue ?

La première étape de création d’une langue imaginaire est tout d’abord de définir son alphabet. Bien que l’alphabet romain soit le plus simple d’accès, car étant celui que nous pratiquons quotidiennement, il est possible d’en user tel que le phénicien, datant de plus d’un millénaire avant Jésus-Christ. Des symboles qui nous sont inconnus, et qui rendent le langage créé encore plus mystérieux… Ajoutez à cela la phonologie souhaitée : ces sons qui vont s’articuler de façon singulière pour donner corps au langage. Prenez le fourchelang, dont les sons sont faits d’assonances non sans rappeler le sifflement du serpent. Vous remarquerez combien cette phrase fait écho au fourchelang ? Elle siffle. Et pour la petite anecdote, ce langage a été créé par un professeur de Cambridge afin de l’adapter à l’écran, et non par J. K. Rowling. [Bruit de page qui se tourne]

Ensuite, il s’agit de définir le vocabulaire de base du langage que vous souhaitez créer. Pour cela, pas besoin de recenser des milliers de mots. Deux ou trois centaines, utilisés pour des désignations usuelles « suffisent ». Il ne s’agit pas de réécrire le Larousse en elfique ! Et illustré en plus ! Quoique… Nommez les lieux tels que les routes, les ponts, les champs, les villes, avec un suffixe commun et surtout une cohérence ! La cohérence, c’est le maître-mot de cette enquête ! [Bruit de page qui se tourne]

Par la suite, pensez à définir les règles grammaticales et de conjugaisons du langage créé. C’est une étape cruciale car elle va être garante de l’harmonie du langage. En effet, s’il n’existe pas de construction logique entre les phrases, de relation entre les mots, il sera beaucoup plus complexe de donner une légitimité à celui-ci. Pour rappel, la construction d’une langue est un ouvrage titanesque, quelques heures à peine ne suffiront pas ! Le quenya a subi de très nombreuses révisions grammaticales et de vocabulaires au fil des écrits. Une véritable langue vivante ! [Bruit de page qui se tourne]

Dernière étape. La dernière brique de l’édifice afin qu’il ne s’écroule pas : le nom. Un langage doit être nommé pour être employé, et ce nom est impérativement inscrit dans une suite logique, qu’elle soit géographique ou faisant référence aux peuples qui la manient. Par exemple, le dothraki fait référence à la mer Dorath, où vivent celles et ceux qui l’utilisent, et à leur moyen de locomotion privilégié : le cheval.

Une fois toutes ces étapes suivies, polies, respectées, choyées, bercées au coin du feu, lancez-vous ! Créez votre histoire, votre monde, vos personnages, autour de ce langage et non l’inverse ! Tolkien était un philologue, c’est-à-dire un spécialiste de l’étude historique, qu’elle soit grammaticale ou linguistique, des textes. Il écrit ce qui lui servira de référence en tant que mythologie à l’ensemble de son œuvre, La chute de Gondolin, à l’issue de la Première Guerre mondiale. Ces prémisses vont le mener à entreprendre ce travail titanesque qu’est celui de la construction d’une langue singulière aux sonorités douces et apaisantes : l’elfique. Mais son approche est bien différente de ce que l’on pourrait imaginer. Car Tolkien n’a pas créé cette langue pour donner corps à son récit, mais bien créé son univers de fiction autour de cette langue. « L’invention des langues est à l’origine de tout », écrit-il dans une lettre en réponse au New York Times, « Les histoires ont été inventées plutôt pour fournir un monde aux langues et non l’inverse. » [Bruit de page qui se tourne]

Pourquoi créer une langue ?

Mais au moment où celui-ci s’essayait (avec brio, il faut le dire) à la création d’un univers fantastique incroyable, un certain Louis-Lazare Zamenhof s’éteignait en laissant derrière lui un bien curieux héritage. Cet homme juif et polonais avait en effet consacré sa vie à la rédaction d’un ouvrage étrange signé du pseudonyme Doktoro Esperanto, le docteur qui espère, en espéranto, ce qui donna par la suite le nom à la langue que nous connaissons aujourd’hui. [Bruit de page qui se tourne]

Mais, la création d’une langue imaginaire s’inscrit-elle seulement dans un but de révéler une histoire, une mythologie ? Les objectifs des deux hommes, étaient diamétralement opposés, bien que leurs constructions prennent une même forme. Zamenhof, qui avait grandi dans un pays profondément xénophobe, rêvait de créer ce langage simple à apprendre, sans lien avec aucune nation ni culture particulière, qui aiderait à unir l’humanité. Son idéal est aujourd’hui resté utopique, bien que l’espéranto soit parlé par plusieurs millions de personnes à travers le monde. C’est d’ailleurs de son héritage que s’est inspiré Peterson pour créer le dothraki cher à Game of thrones. [Bruit de page qui se tourne]

Paradoxalement, le concept de Tolkien est plus proche de la façon dont les langues fonctionnent dans le monde réel. Ses langues elfiques sont vivantes et évolutives. Elles reflètent la culture des communautés qui les parlent. Le principe d’une langue auxiliaire internationale tel que l’espéranto est de fournir un code stable, qui peut être facilement appris par n’importe qui. Mais les langues humaines ne sont jamais statiques ; elles sont toujours dynamiques, toujours diversifiées, en atteste le concept de langue vivante, et de langue morte. Donc, l’espéranto comporte un défaut fondamental dans sa conception même. Et puis, peut-être que de nos jours, nous avons plus envie de nous consacrer à la création de mondes fantastiques, de nous laisser bercer par l’imaginaire des orcs et des elfes, plutôt que de chercher comment réparer celui dans lequel nous vivons réellement…

Aksel TOURTE

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